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20 mars 2017 1 20 /03 /mars /2017 10:47

       

 

           Qui voudrait découvrir l'univers du grand écrivain japonais Tanizaki pourrait commencer par une de ses longues nouvelles (ou petits romans), Le Coupeur de roseaux où tout son art semble condensé.


  Le narrateur nous invite à le suivre dans une petite sortie pédestre qui apparaît vite comme un grand voyage mémoriel et nostalgique, tout en suggestion, imprégnation et absorption. Voyage également littéraire parmi de nombreux textes et s'ouvrant sur un poème chantant la douleur de l'éloignement :

      Loin de toi

     Hélas! je coupe les roseaux

     À cette pensée

     La vie sur la grève de Naniwa

     Me devient toujours plus insupportable.

 

  Cette confidence construite en deux grandes parties nous mènera aussi vers un récit de récit (de récit) et proposera, à partir de modestes signes (les roseaux, la brume, la grève), une profonde méditation sur l'exil, la répétition, le sacrifice, le perdu et l'apparaître.

 

L'occasion


  Tout commence par un poème rédigé par l’empereur (et grand lettré) Gotoba (écrit aussi Go-toba), durant l’ère Genkyû (1204/1206) qui faisait retraite au lieu dit Minase (province d'Osaka).


Je regarde dans le lointain
Le pied des montagnes est enveloppé de brume
Rivière Minase!
Pourquoi avoir préféré
les soirs d’automne?

   Tard dans une journée qui devait s'achever sur l'apparition de la pleine lune du 15 du huitième mois dans le calendrier lunaire (début de l'automne au Japon, grand moment de fête (avec poésies et musiques)), le narrateur, âgé d'une cinquantaine d'années décide de se rendre au sanctuaire de Minase qu’il ne connaît que par ses lectures de textes très anciens racontant la vie de cet empereur retiré dans un palais d’une élégance modeste mais exquise. À cet endroit idéal ayant vue sur la rivière Minase (affluent du fleuve vénéré Yodo), cet homme encore puissant alors (il devait connaître un destin tragique) consacrait sa vie à la nature, aux plaisirs de la fête et de la musique.

  Depuis longtemps, le narrateur est sensible à quelques vers qui déroulent devant lui, le paysage à la fois poignant, et en même temps chaleureux et au charme prenant des rives de la Minase. Et, ce jour-là, les conditions sont réunies pour s’y rendre.

  Nous arrachant à une atmosphère qui pousse déjà à la rêverie, le narrateur nous précise toutes les données géographiques (reliefs, rivières, lignes de chemin de fer, données climatiques mais aussi localisations des routes de jadis) de son pèlerinage inédit.
  Sur place, il dévisage «
une à une ces demeures, qui dans l’ombre de leurs auvents faisaient flotter une atmosphère de siècles révolus.» Rien d’extraordinaire mais la magie du récit qu’il a en tête le pousse à inventorier le site pour mieux comprendre et retrouver l’émotion qui inspira à l’empereur

Le pied des montagnes est enveloppé de brume

   Il lui semble que ce ne peut être «qu'en contemplant la surface de la rivière du haut d'un pavillon construit au bord de l'eau, ou encore en se promenant sans but dans le jardin que ce vers lui était venu.» (j'ai souligné)


  Circulant dans le sanctuaire puis s’en éloignant, il constate que son imagination ne l’avait pas trompé et que le décor est assez fidèle à son attente malgré l’éloignement temporel (700 ans).


   Avec l’aide d’un autre vieux texte, le pèlerin saisit mieux la double originalité des lieux : stratégique et esthétique. Cette dernière en dit long sur l’empereur et, surtout, sur le narrateur. Rien de grandiose, rien de sublime, tout est douceur, brume et arrondi dans le genre de yamato-e (la peinture japonaise la plus populaire, la plus prosaïque). D’autres visiteurs n’y prêteraient pas attention mais le nôtre est entraîné vers une tendre rêverie maternelle : «Dans la solitude du soir, surtout, on voudrait se fondre dans la fine brume qui flotte au-dessus de l’eau, et qui semble de loin nous faire signe.» Retenons ce désir pour bien lire la fin de la nouvelle.
  Pensant à sa propre enfance puis s’identifiant à l’empereur vaincu et exilé pendant dix-neuf ans sur l’île d’Ogi où il mourra (le motif de l'île n'est pas indifférent), il se dit qu’alors sa Majesté avait nécessairement en tête le lieu que lui a maintenant sous les yeux. Comme lui peut-être, il le peint en imagination et entend musiques et sons qui concertaient alors pour son plus grand plaisir. Auparavant, notre conteur aura évoqué la chronique du Grand Miroir et Sugarawa no Michizane qui entra dans les ordres et sur le chemin de l'exil composa son fameux poème : "De la demeure que tu habites, les branches, à mesure que je m'éloignais, jusqu'à leur disparition, je me retournai pour les regarder !" «Il se désolait dit la chronique, souffrant amèrement d'avoir été accusé pour des fautes qu'il n'avait pas commises, et se fit moine à Yamasaki

  Le narrateur perçoit donc en même temps les bonheurs de l'empereur encore libre et le souvenir qu'il en avait dans son douloureux exil.

   Après cette navigation dans le temps lointain qui lui a fait oublier l’heure, nous l'accompagnons dans sa double progression : la première, réelle, suivant le conseil d’un marchand de nouilles, le mène, au bord du fleuve Yodo qui, à un certain endroit, est coupé en deux par un banc de sable couvert de roseaux et qui nécessite un arrêt avant d’embarquer une seconde fois sur un autre bac conduisant vers la rive opposée. Le décor, en l'instant, le retient par la sensation (si tanizakienne (1)) d'estompe, d'affaiblissement : «l'extrémité du sable en amont voit ses contours s’estomper en même temps que s’amenuisait la faible lueur qui baignait le paysage, et donnaient l’impression de s’étendre à l’infini.» (j'ai souligné)

   La progression imaginaire se poursuit également : le bac l’amène à se remémorer d’autres bacs, ceux de son enfance, et des scènes peintes illustrées de poèmes lui reviennent en mémoire. Plutôt que d’embarquer tout de suite, il décide de rester sur le banc de sable, sous une lune parfaite. Se plaçant à la pointe de l'îlot sablonneux, il éprouve la sensation d’être dans une barque au milieu du courant.
   Malgré la beauté absolue de ce qu'il a sous les yeux, recommence alors pour lui le voyage nostalgique qui ne le ramène pas chez lui mais dans le temps et dans le souvenir de livres appartenant à des époques parfois éloignées les unes des autres mais qui convergent dans leurs sujets : un poème de Dufu chantant le lac Dongting, des vers de la “Ballade du pipa” de Bai Letian (un auteur chinois du premier millénaire qui connut gloire et exil avant de retrouver les honneurs), un passage de "la Prose de la falaise rouge” où il est beaucoup question de courtisanes (qui vivaient là autrefois et tentaient tous les hommes de passage - «
Barques de pêcheurs ou bateaux de marchands, les embarcations se touchent si bien qu’on ne voit plus guère la surface de l’eau. C’est ici le premier centre de divertissement de tout le pays» raconte un des textes). Ce spectacle d’automne, ces évocations d’un passé "archaïque", ces bribes qui remontent à la surface le rendent nostalgique, lui rappellent l’impermanence des choses (une seule chose ne change pas, la dépravation des hommes) et l'amènent curieusement à s'interroger sur le sort des prostituées dans la Terre pure alors que le Bouddha les avait sévèrement condamnées. Mais ces femmes n'avaient-elles pas, à l'instar de Bouddha, aussi de la compassion? Et surtout,« ne pourrait-on pas en faire à nouveau sur ces flots apparaître, telle de l'écume qui se forme pour se défaire aussitôt.»(j'ai souligné)

 

   Un vers mystérieux de simplicité, un îlot de sable au milieu de l'eau qui s'écoule sans retour, des êtres exilés, des souvenirs qui célèbrent un temps irrattrapable, des textes récités, une moelleuse lumière bleutée enveloppant le fleuve. Des femmes faciles qui peut-être se sacrifiaient par compassion. Sous l'impulsion de ces éléments et d'un peu d'alcool, le visiteur espère écrire à son tour, dans son carnet, quelques vers.

   Il se rend compte alors de la présence d'un homme accroupi dans les roseaux exactement comme s'il s'agissait de [son] ombre.» (Je souligne)


La rencontre 


    Cet homme venu d’Osaka (où il tient une petite boutique d’antiquaire (détail peut-être ironique) et ayant le même âge que lui le salue : il avait entendu le narrateur dire la Ballade du pipa et n'avait osé troubler sa tranquillité. Ils partagent un saké rafraîchissant. Un temps, l’inconnu entonne lentement un air du nô Kogô (notons la dimension implicitement théâtrale) dans lequel il est comme absorbé.
 L’homme surgi à l'instant
 est lui aussi là pour le clair de lune (le plus intense de l’année) et il remercie le narrateur pour ce qu’il lui apporte en cette occasion. En effet, habitué à la contempler vers l’étang d’Ogura (c'est sa direction ce soir-là), il n’avait pas encore pris conscience de la beauté sans pareil de ce passage du fleuve Yodo, vu d'entre les roseaux.
  Le narrateur précise qu’il était en train de chercher quelques mots pour un laborieux poème mais il refuse de les lui énoncer. Il confie plutôt à l'homme d'Osaka que sous cette lune c'est aux fantômes des courtisanes du passé qu'il songe et sur lequel «[il]
tente en vain de formuler dans un poème ce sentiment [qu'il a] de poursuivre des chimères.»

   Heureux hasard : l’inconnu lui aussi songeait à l’instant à «des fantômes d’un passé disparu.» Nous verrons que, s'il s'agit bien de fantômes du passé, ils n'ont pas tout à fait la même origine et viennent de moins loin dans le temps. Encore que....
   Celui que nous accompagnons depuis le début se dit toujours plus sensible à la mélancolie de l’automne, aussi bien dans la nature que dans les poèmes qui le chantent. Sa conviction :«
À mesure qu’il prend de l’âge, l’homme voit naître en lui une sorte de résignation, une disposition à accepter avec joie une dissolution en accord avec les lois de la nature; il aspire à une vie tranquille et équilibrée. Aussi le spectacle d’un paysage vivement coloré le console-t-il moins que le face-à-face avec un tableau plus triste, et à la recherche des plaisirs réels préfère-t-il l’absorption dans le souvenir de ceux du passé. Autrement dit, l’amour du passé, où les jeunes gens ne voient qu’une chimère sans rapport avec la réalité présente, représente pour le vieil homme l’unique moyen de continuer à vivre au présent.»(J'ai souligné)
  L’interlocuteur venu d’Osaka ne peut qu’abonder dans ce sens : depuis l’enfance, il a été convié (de façon un peu forcée au début) par son père à profiter de cette nuit de la huitième lune. Mais alors, comme on sait, la direction était l’étang d’Ogura.


  Toutefois, le clair de lune n’était pas la seule raison du déplacement paternel. À cette occasion, il venait en plus guetter à travers d’épaisses frondaisons un groupe d’hommes et de femmes (artistes et suivantes) réunis pour un banquet dans le jardin d'un pavillon où un bassin avait été creusé et où balançait une barque. Une jeune femme (joueuse de koto) dominait toujours la scène : le père cherchait à l’apercevoir mais feuilles et ombre la dissimulaient (on se souvient que sur le banc de sable il était accroupi dans les roseaux) : la voix (très jeune) dominait une scène d'un grand raffinement dédiée elle aussi à la lune. Bien qu'éloigné, le père était absorbé un long temps. 
  Cette quête se répétait chaque année. Le premier narrateur veut connaître les raisons de cette marche devenue rituelle et qui semble se poursuivre en la personne du fils.

 

Le récit de récit (de récit)

 

  Pour bien faire comprendre sa présence en ce jour de lune et la répétition annuelle de ce rite né avec son père et prolongé par lui depuis quarante ans, l’inconnu se doit de raconter la grande aventure amoureuse de son père.

  Il y a longtemps, ce père a aimé O-Yû, une veuve âgée de 23 ans. Très aisée socialement, elle avait été élevée comme une princesse en raison d’une beauté et d’une autorité naturelle que personne ne contestait. Sa belle-famille lui laissait beaucoup de liberté afin qu’elle ne se remarie jamais et élève seule son très jeune fils. Tout son entourage acceptait sans sourciller de se sacrifier pour elle.

   De son côté, le père (Shinnosuke), issu d’un milieu plutôt bourgeois, rêvait à vint-huit ans de connaître une femme de classe aristocratique. Il rencontra O-Yû au théâtre (ce n’est pas un hasard, on le vérifiera plus tard), ce fut une révélation (le portrait de O-Yû est un modèle de l’esthétique tanizakienne toute orientée vers le voilé, l'atténué, l'à peine perceptible) et chercha à rencontrer cette jeune femme à la beauté idéale qui domine toute sa famille et transforme innocemment ses sœurs en servantes (et ses servantes en dames de compagnie). Il fit tout pour assister à un récital de koto qu’elle donna avec solennité dans un décorum traditionnel et habillée d’un extraordinaire manteau de cour (ushikake). Le père fut définitivement conquis : il avait enfin trouvé la femme, qui correspondait à ses goûts et surtout, à ses fantasmes....

  Comme le premier narrateur, ce père est donc (partiellement pour l'instant) tourné vers le passé. O-Yû semble appartenir à ces époques que l'on peut lire dans les anciens ouvrages. On fera attention au paragraphe qui résume la beauté de cette jeune femme : «Pour le dire en un mot, la personne d'O-Yû respirait le genre d'atmosphère que l'on trouve dans l'aspect des anciennes poupées de Cour, un mélange d'éclat rayonnant et de grâce classique, évoquant les figures presque inaccessibles de quelques grandes dames du palais.» (j'ai souligné). L'apparat digne du noble passé oriente le désir du père mais on se demande si O-Yû qui ne se sert jamais de ses mains, qui utilise pour ses repas "un service de poupée" ne fait pas naître une sorte de fétichisme très original que favorise un narcissisme encouragé par tous (2).

  Peu à peu, par un jeu de relations, s’imposa l’idée d’épouser la sœur cadette O-Shizu pour rester proche d'O-Yû. Grâce à l’inconnu (qui se révèle être le fils d'O-Shizu), on découvre les calculs secrets des uns et des autres, en particulier d’O-Yû qui désire elle aussi cet admirateur qu’elle se promet de voir souvent grâce à ce mariage qu'elle encourage en dépit de la différence d'âge (douze ans). Pendant les "négociations", s'installe tout un jeu de présence et d'absence, de proximité et de non-dit. L’histoire devient alors d’une grande intensité et d’un raffinement d’analyse étonnant.

 

   Le soir des noces, l’épousée révèle à son mari que depuis longtemps elle a tout compris (sa sœur aime son mari) et affirme, de façon subtile et radicale, qu’elle a bien l’intention de rester vierge et de se sacrifier pour sa sœur. Le dialogue des époux qui balance entre mystique et perversion fait presque penser, un temps, à du Racine : on est saisi par la clairvoyance de la sœur cadette, on prend conscience de l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes, de leur sens du devoir, et on mesure leur rivalité dans le sacrifice. La sœur aînée ne se doute de rien mais est heureuse de ce modus vivendi qui la rapproche de son amant platonique (et non déclaré), lequel est ravi de la voir vivre telle une dame de palais toujours livrée à des distractions distinguées.

  Quelques scènes de la vie du singulier trio sont mémorables, en particulier la montée de lait d'O-Yû, lait absorbé par O-Shizu puis servi au mari dans un bol : elle ouvre une série de provocations de la cadette qui veut déstabiliser son mari et qui, avec une innocence perverse, souhaite rapprocher encore plus sa sœur et son mari. 

  Le temps passa et, par ruse ou par esprit de sacrifice, disons plutôt par ruse au service de l’oblation, la cadette révéla tout à l’aînée. Au bout de quelque temps de réflexion, O-Yû se satisfit de la situation et redoubla de caprices en se jouant (comme une actrice) de façon incontestablement érotique du mari d'O-Shizu. Dans les familles comme en voyage, le jeu à trois se poursuivit sans que la dernière limite ait été jamais franchie. (3) 

 Cependant, la mort (4) d’Hajime, le fils d’O-Yû, les rumeurs grandissant dans les deux familles eurent un effet décisif sur cette aventure qui dura peu, à peine trois-quatre ans. On contraignit O-Yû à retourner dans sa maison natale puis on la força à épouser un riche brasseur passablement âgé qui agrandit pour elle («dans le goût des pavillons de thé traditionnels») la villa qu’il possédait au bord de l’étang d’Ogura. Ce lieu abrita une espèce d’heureux exil intérieur qu'aura encouragé le père du narrateur. Devenue le bibelot d’un mari qui s’en lassera vite, O-Yû put alors, comme jamais, compter sur une vie somptueuse satisfaisant tous ses caprices infantiles. Elle aura restauré, à sa manière, une vie qu'on eût dit calquée sur les gravures du Genji rustique.... Prêtresse de la répétition, elle rejouait, avec une théâtralité marquée, les plaisirs fastueux des époques lointaines.

   Ayant renoncé au suicide pour ne pas abandonner sa femme (il songea même au suicide à trois), Shinnosuke vécut avec elle dans la misère : elle mourut assez vite après lui avoir donné l'enfant qui vient de raconter cette histoire troublante. Pour commémorer ces années de grâce, le veuf vint donc chaque soir de la lune du quinzième jour du huitième mois écouter la voix de sa belle-sœur et tenter d'apercevoir, malgré la haie, celle qui fut et demeura sa passion interdite. Mais la haie ne fait-elle pas partie du rite, sanctionnant une distance qui entretint toujours le désir dont l'intouchable fait aussi partie? 

   Depuis quarante ans, le fils né à/de la fin du trio reproduit le pèlerinage de son père. Le fils répète la répétition du père tandis que le premier narrateur répétait de beaux vers témoins d'un passé où la répétition nostalgique d'un empereur poète avait elle aussi toute sa place.

     Dira-t-on que, sans le savoir sans doute (et sans souffrir d'une forme d'exil) O-Yû répétait les conditions de vie idéale que connut un empereur poète qui, lui, en fut privé à jamais?

    

  En tout cas cette nouvelle mélancolique est admirablement construite à partir de la quête du passé et de la notion de sacrifice. Deux hommes proches en âge évoquent l'un, des souvenirs historiques et littéraires, l'autre, des souvenirs plus personnels. Le premier narrateur est hanté par la civilisation du lointain passé qu'ont transmise la littérature et la poésie ; le père, protagoniste du second récit, est hanté par une femme qui lui paraît digne de la civilisation dont notre premier narrateur a du mal à se détacher.

   Dans le première partie, le récit s'achève sur la question du salut des geishas : peut-on parler de sacrifice par la "souillure"? Dans l'autre partie est raconté un sacrifice par la virginité.

​​​​​​​  Enfin, on appréciera le jeu de multiples références conductrices de sens comme dans ce simple passage, parmi d'autres. Demandant très tôt à son interlocuteur si jadis circulaient ici même «les barques des courtisanes, telles que la dame d’Eguchi.», on croit comprendre que le narrateur initial renvoie à une pièce du théâtre nô écrite par Zeami à partir de deux légendes : dans l’une, la dame d’Eguchi, ancienne prostituée, apparaît à un moine et se révèle comme une manifestation du bodhisattva Fugen et amène le spectateur à méditer sur l’illusion....

 

   La chute de la nouvelle est à son image, parfaite : «Mais je n'entendis que le bruissement de la brise dans les herbes, les roseaux qui couvraient la grève étaient eux-mêmes invisibles, et la silhouette de l'homme s'était fondue dans le clair de lune.»(j'ai souligné)

 
 
Rossini, le 27 mars 2017
 

 

NOTES

(1) À toutes les étapes du récit et jusqu'à sa chute, la connaissance de son ÉLOGE DE L'OMBRE est tout de même précieuse.

(2) On sait que Tanizaki n'ignorait rien du fétichisme comme le prouve, entre autres, Le pied de Fumiko. Dans cette nouvelle on voit que le père du narrateur a conservé un kosode lourd et épais qui valorise la peau de la femme et favorise la sensation de celui qui la caresse...

(3) Le fils qui narre introduit des nuances sur cette chasteté : «Cependant la notion de chasteté peut s'entendre dans un sens étroit ou dans un sens large, et, par conséquent, on ne saurait affirmer non plus qu'O-Yû se soit gardée de toute souillure

(4) Une pneumonie et une certaine négligence de la mère.

 

 


 

 

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