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17 janvier 2012 2 17 /01 /janvier /2012 16:07

  "Mais j'écris, je me casse la tête afin de tenir ma promesse: introduire dans ce monde une chose, une notion et un être qui ne font pas partie de son organisation merdique."(p116)

 

 

 

 

    Dans la longue tradition des voyages en Orient, qui ne rêve de la Mongolie extérieure? À une époque où rien ne se fait sans guide, on se dit qu’un Guide de Mongolie (en serbe Mongolski bedecker) peut tout de même servir un peu.

    Avec Basara à la table d’orientation et à la boussole, on ne saurait être déçu. D’autant qu’on apprend assez vite que "circuler c’est fuir le lieu du crime"....Disons-le d’emblée pour ceux qui ne l’ont pas encore fréquenté, chez Basara, ça chahute beaucoup, l’enthymème fait la pirouette sur un fil de fer, le syllogisme tient assez du triple salto arrière-avant avec réception sur le crâne et le parcours est bousculé comme dans un train de la mort à la fête foraine de la vie produite par hologramme. C’est que nous sommes dans le Kali-yuga.

           Basara est supposé être parti en Mongolie l’année du dragon de fer (dans la mythologie chinoise) pour remplacer dans ce périple un ami suicidé qui le lui avait demandé par courrier juste avant de mourir. Nous ne sommes  pas à une époque tranquille : la Serbie va vers la guerre ethnique et la Mongolie est encore largement soviétisée.   

 

 

    Un guide de la Mongolie?

        Quelques chiffres qu’on trouve partout (superficie, nombre d’habitants, régime politique), une anecdote étonnante sur un brassard jaune avec étoile de David, les raisons de l’adaptation aisée de l’empire soviétique alors encore parfaitement dominateur, l’importance de la météo (et ses risques (de mort) pour ceux qui doivent la prédire), une économie surprenante (tout est à cinq marks), le bûcher (avec graisse de buffle) pour les sorcières, la prostitution à Oulan Bator (au fond des poissonneries, avec la médiation d’un eunuque...): c’est à peu près tout. Le guide n’est pas curieux ou bien il y a peu à voir et à vivre en Mongolie.
          Certes le touriste enquêteur fait quelques belles rencontres : il aperçoit Charlotte Rampling buvant du cappuccino et lisant le TIMES; il côtoie l'américain Chuck accusé de communisme et qui de fait le devint en réaction mais fut sauvé par les Libéraux et envoyé comme correspondant à Oulan Bator; il dialogue volontiers avec l’évêque Van den Garten venu d’Amsterdam ou avec un mort qui parle d’outre-tombe (M. Mercier qui joua dans EMMANUELLE...) et fait de belles révélations métaphysiques sur le Temps, avec un  colonel soviétique devenu lama à épaulettes militaires et enfin le docteur Andréoti, psychanalyste tendance Jung....Faut-il préciser que tous s’adonnent à l’alcool fort?

        Vers le milieu du guide (en dépit des apparences, ce livre est finalement construit...) nous apprenons que cette Mongolie est le pur produit d’un rêve dont ne savons plus exactement qui en est le rêveur....

 

 

     Un guide de Baïna- Batcha?   

 

 

   Si le guide conclut de façon malhonnête (car forcément peu documentée) que la Mongolie est un pays «merdique», il faut reconnaître que son rédacteur se présente comme un expert. En effet le guide de la Mongolie imaginaire est hanté par la boue, les bourbiers, le merdique et sa ville natale, voisine de la Bosnie, Baïna-Batcha, dont une des rues devrait porter un jour le nom (prédiction qui ne le flatte pas), manquait singulièrement de pittoresque malgré la proximité de la Drina, quelques croyances qui ont bercé son enfance et surtout un terrain vague qui méritait de retenir l’attention («Sur un terrain vague attenant, les cirques en tournée montaient leur chapiteau, là se tenaient les réunions des membres de la Société des charmeurs de serpents, là se réunissaient les vendeurs de moulins à vent en feuilles de maïs et les tailleurs le flûtes en bois de sureau - tous membres de corporatlons qui disparaissaient les unes après les autre devant la marche conquérante des adorateurs de l'énergie électrique, du fer et de l'aluminium.»). Cependant il va jusqu’à affirmer qu’elle devint pour les titistes une ville Potemkine et que les rares charmes qu’elle avait en vérité ont été éliminés par les communistes. Dans ce paradis pour nihilistes il a connu de trop loin une jeune fille à sa fenêtre dont des textes retouvés bien plus tard prouvent qu’elle avait un talent précoce bien proche de celui de ....Basara.

 

     Un guide pour Basara 

 

   En réalité Basara ne parle que de Basara. Il est le Mercator de Basara. En pélérinage dans son passé comme dans son présent, il nous découvre les arcanes de son cerveau, de son cœur et (osons le mot) de son âme. Un Mercator en trois D. En passant par la Mongolie, lieu où s’interpénètre le rêve et la réalité, il se cherche. Il nous expose quelques jalons de son passé (merdique comme il se doit), ses excentricités précoces, sa quête platonique d’amour, ses croyances (il fut animiste), ses fantasmes, ses phobies, ses rejets (le communisme, le postmodernisme, le féminisme, les maires de Belgrade),  ses pouvoirs étranges (marcher au plafond, ne pas respirer pendant une durée considérable), sa paranoïa (dont heureusement (selon lui) il ne s’affranchit jamais) et  sa théorie du complot qui ne vise pas que le Communisme et le Vatican mais finalement toute la composition de ce monde.

 

 

    Dans ce livre, comme dans d’autres, Basara est partout, derrière tous ses personnages, tous les masques, tous les dialogues, toutes les doctrines, en particulier la belle théorie des trois temps intérieurs. Un moment essentiel du GUIDE se situe vers la fin quand justement le roman se replie sur lui-même, quand le vrai devient faux et le faux plus vrai que le supposé vrai : il est alors question de miroirs présents chez son grand-père, miroirs déréglés, devenus introvertis, subjectifs et qui contenaient tout ce qu’il vivra et écrira ensuite faisant de lui un faussaire ou un voyant. Ce GUIDE est lui-même écrit en miroir et renvoie aux autres œuvres de Basara, à d’autres personnages, masques de masques.

    Il y a du gnostique chez cet orthodoxe singulier qui voit la destruction programmée de tout, y compris  des rêves, constate la marche au néant du monde, sa babelisation (au moyen des techniques sophistiquées dont le communisme n’était que la préfiguration), qu’il dénonce en la sachant irréversible.

   
    On peut détester certains auteurs qui font les fous sans risque et cabriolent en retombant tout de même sur leurs jambes. La gratuité les guette. Ce n’est pas exactement le cas de Basara. Au-delà de sa Foi et de son obsession du Mal, au-delà du sentiment d'étouffement, d'encerclement, d'incarcération qui domine ses pages bien peu exotiques, il y a chez lui une foi devenue rare en une activité sans doute caduque : l’écriture. Ecriture qui cherche, qui cherche à savoir ce qu’elle cherche mais qui à force de piéger les commissaires de la Pensée et de la Culture veut se croire encore subversive et capable d’ouvrir une simple brèche «dans l’abjection où nous végétons».



 

 

Rossini.

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