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25 juin 2012 1 25 /06 /juin /2012 04:52

 

 

    

 

      Gravures austères sur linoleum ou sur bois, corps dansant dans des couleurs tonitruantes, force des traits simplifiés qui cherchent à exprimer et imprimer un choc....


     Au printemps et en été 2012, à Grenoble puis Quimper s'est tenue une exposition importante et inédite (près de cent vingt œuvres venues de Berlin) consacrée au mouvement artistique DIE BRÜCKE. Un catalogue permet de mieux situer encore ce mouvement important dans l'histoire de l'art du XXeme siècle.

 

    Ce beau livre se présente ainsi : après une préface du directeur du musée de Grenoble, nous pouvons lire un rapide historique de la grande spécialiste de ce mouvement, Magdalena M. Moeller. Vient ensuite une réflexion sur le NU dans l’expressionnisme (travail qui aurait mérité d’être plus poussé (Nicolas - Henry Zmelty)). Suivent de rapides monographies consacrées aux acteurs de ce groupe qu’accompagnent les reproductions des œuvres exposées pour chacun d’entre eux : Kirchner, Heckel, Schmidt-Rottluff, Bleyl, Pechstein, Nolde, Mueller. Enfin le dernier chapitre permet de consulter un commentaire rapide sur chacun des tableaux vus auparavant dans les salles du musée de Grenoble. Il faut reconnaître que cet ordre de présentation n'évite pas des redites mais  admettons qu’un catalogue ne se lise jamais continûment. Une bibliographie clôt le volume en montrant combien les études françaises sur le sujet sont rares.

  Que retenir de la contribution de Magdalena M. Moeller, directrice du Brücke-Museum de Berlin? Quel est l’apport du PONT à la grande crise de l’apparence qui  ébranle les arts dès la fin du XIXème siècle?


  Prenons quelques vues grâce à ses observations et osons y mêler quelques remarques.

 

   •Un mot, expressionnisme: si pour d’autres on le doit à Worringer, pour Madame Moeller il apparaît pour la première fois en avril 1911 dans le catalogue de l’exposition de printemps de la Sécession berlinoise: il désignait un groupe de peintres  modernes, entre autres Van Dongen, Othon Friesz, Manguin, Picasso! Expressionniste avait alors une valeur approximative et très générale pour désigner «ce qui s’opposait à l’ordre établi avec une grande force d’expression». C’est seulement en 1914 que Paul Fechter définira ce style en prenant largement en compte la contibution du PONT.


  •DIE BRÜCKE: image on ne peut plus classique, celle du pont: ce qui permet de passer d’une rive à l’autre (ces œuvres disent en effet quelque chose du passage - d'un instant, d'un élan, d'une pulsion) et de tenter d’autres expériences en tournant le dos à l’académisme, ce qui n’interdit pas des retours vers des précurseurs admirés: les plus proches étant Van Gogh (un choc pour tous), Ensor, Munch. Mais un Kirchner tient grand compte de Dürer, des frères Beham, de Lucas Cranach. Le mot, la notion de pont venant sans doute de Nietzsche et d’une phrase de son Zarathoustra.

 

      Le PONT, non les coupeurs de pont.

 

   •Tout commence en 1905 à Dresde avec quatre jeunes artistes, quatre étudiants de l’École technique supérieure (Kirchner, Heckel, Schmidt-Rottluff, Bleyl - la plupart autodidactes), vite rejoints en 1906 par Pechstein, Nolde (pour un an et demi seulement), Mueller (en 1910/11) qui donneront une vraie impulsion à ce qui sera nommé expressionnisme, élan et esthétique aux avatars nombreux, complexes et parfois très contradictoires.... 


  •S'il y a incontestablement une esthétique du geste dans l'expressionnisme, ce groupe ne se déclare pas dans un manifeste où retentiraient ses grandes attentes, ses principes radicaux, ses rejets violents: voilà une grande différence avec le futurisme et plus tard dada ou le surréalisme. 


  •Le creuset de départ : de jeunes créateurs qui ont aimé l’Art nouveau, le néo-impressionnisme, le symbolisme, le japonisme (Kirchner est emblématique de ce point de vue), qui sont à l’affût de tout ce qui se crée, s’active, se trouve, se cherche, prouve le mouvement en marchant et peignant : l'esthétique expressionniste se construit avec l'idiosyncrasie de chacun, grâce à l'effet (pourtant difficillement mesurable) de groupe, par la révélation successive du  fauvisme puis du cubisme et futurisme italien. Hormis l'académisme et l'ambition réaliste ou naturaliste, peu de rejets, sinon de l’impressionnisme : il n’est plus question d’un abandon de l’œil aux sollicitations du monde en ses miroitements mais d'un regard éclair et dévorant porté sur une petite partie du monde.

 

   • Si les effets du fauvisme sont majeurs (regardons LE NU FÉMININ AU CHAT ou LA DANSE (1912) de Pechstein), les participants à DIE BRÜCKE se reconnaîtraient à une plus grande simplification qui s'accompagne d'un refus de la sophistication. Tout aussi décisive la révélation des arts africains et océaniens : ce qui s'appellera "primitivisme" (mot  nécessitant toujours la (re-)définition et le guillemet). Les échos artistiques de la réouverture du Musée ethnographique de Dresde - bronzes du Bénin, objets des Pueblos du Mexique, poutre d’une maison des îles Micronésiennes (Palaos (possession coloniale de l'empire allemand)) - seraient patents sur Pechstein, Kirschner: le brückisme (si on nous passe ce mot) serait alors plus sévère, plus anguleux et la lumière, la couleur reculeraient
.


  •Un groupe, une association qui avaient huit membres actifs et soixante-huit membres (passifs) en 1908 et qui sollicita d’autres peintres pour qu'ils les rejoignent: le Suisse Cuno Amiet, le Hollandais Lambertus Zils, le Finlandais Akseli Gallen-Kallela, sans oublier Kees van Dongen.

 

 •Sans qu'aucun artiste ne se renie jamais dans sa recherche artistique personnelle, LE PONT représenta pour chacun une expérience brève mais réelle de groupe  : une volonté de partage et de mise en commun de tout, loisirs et travail étant indissociables. Un pont de chacun et pour chacun.  On peut en tout cas parler d’un style collectif vers 1909/10. On proposa même à cette époque la notion d'" expressionnisme fauve".

 

  •La présence de la nature dans les premières années est frappante: dans le rassemblement du loisir travail, à Moritzburg, dans les forêts environnant le château de chasse des rois de Saxe, ailleurs  dominent le plein air, les scènes de baignade. Fuite, utopie, promesse de bonheur pour quelques-uns? Toutes les contributions du catalogue vont dans le sens d'une liberté de mœurs et la part des souvenirs des participants est considérable.

        ••Il y aurait une étude décillée à faire sur cet aspect. On nous permettra un léger doute : le catalogue va dans le sens d'une recherche flamboyante de l'harmonie et d'une allégresse éprouvée et reproduite. Regardons de près LE MAILLOT NOIR ET JAUNE de Pechstein. Est-ce si sûr? Que dire de la dimension souvent peu sexuée de ces corps dénudés? Libération indifférente, refoulement malgré l'audace, érotisation suggérée par déplacements?

 

  •DIE BRÜCKE manifesta un souci évident de variété des expériences et des supports. Tout retient leur attention : dessin, aquarelle, huile, craie mais aussi gravure sur bois (dans le sillage de Gauguin, Munch), sur lino, lithographie, eau-forte etc.... Règne une incontestable passion pour la dimension technique, artisanale de l'art. La pratique de la carte postale (comme IM CAFÉ de Pechstein) est justement signalée dans le catalogue.

 

   •un tournant, une fin commençante. Madame Moeller voit dans l'année 1911 en même temps que l'apparition de nouveaux sujets (scènes de cabaret, de danse, de cirque), une sorte d’achèvement. Jusqu'à cette date elle concède au groupe sinon une unité du moins une homogénéité.
    En 1912 c’est l’installation à Berlin, capitale très récente des audaces artistiques (scandale Munch; fondation de la Sécession puis de la «Nouvelle Sécession; expositions Van Gogh, Cézanne). Les liens dans le groupe se distendent.
    Dans l’ensemble les productions sont «plus sombres, oppressantes»; les œuvres d’Heckel  se tournent vers malades, fous, mourants, morts. Kirchner offre ses vues étranges des rues de Berlin et de leurs passants qui feront durablement sa notoriété.

 

        ••Comment passe-t-on de la couleur dynamique du début, de l'éclat débordant à l'abîme sans fond ni forme des bois gravés? Que se passe-t-il vraiment, même chez le délicat Pechstein avec sa tête de pêcheur ? Faut-il vraiment ne voir que calme et sérénité dans deux jeunes filles (1909) d'Heckel? Dans cette origine de l'expressionnisme, le noir ronge.


   • Mai 1913: le groupe, déjà bien dispersé, se sépare officiellement.

 

  •à partir de 1933 le groupe entre dans la catégorie nazie des "dégénérés".

 

 

   •Enfin dégageons les caractéristiques et les attributs esthétiques du groupe - étant entendu que chacun se les approprie, les pousse, les traite et maltraite comme il veut. Et que certaines de ces propositions seraient à affiner voire à dépasser.


    Pression et célébration de l’instant.


   Franchise de la forme et de la couleur (par exemple Schmidt-Rottluff de 1909). Franchise de leurs alliances comme de leurs rivalités (débordement de l'un sur l'autre: aussi bien du trait que de la couleur).


   Refus de l’imitation.

 

  Moins une représentation que la force de réaction à un surgissement.

 

   Nombre limité des motifs.

 

  Nul recul devant la simplification, la réduction, le sommaire, la déformation (des corps, du visage - Heckel est impressionnant), l’outrance, l’exagération.

 

  Un travail inédit sur la figure et les yeux. Un des premiers mouvements à toucher au visage humain: ce fil peut guider bien des visites et contemplations....


   Mise en cause de la notion de «fini», d’achèvement. 

 

   Aucun souci de l'essence, du métaphysique (sinon simpliste comme Nolde) : quand on sait ce que des groupes proches développeront comme spiritualisme ou idéalisme (parfois sous le masque du matérialisme)...!


   Subjectivisme effréné, assumé : violence des émotions, fulgurance de la réaction, importance du geste créateur, de sa vitesse de décision.


    Expression.

 

   

 

 

      Malgré quelques regrets (l'oubli des poètes, si importants et si proches parfois, l'absence de références au BLAU REITER ou à DIE AKTION, l'évitement d'une comparaison succincte avec un Otto Dix (la comparaison est toujours éclairante), la volonté légitime de ne pas confondre LE PONT avec son héritage si compliqué (et si chargé de procès odieux) qui mène à dire si peu sur ce que deviennent politiquement Nolde et Pechstein (un peu plus Schmidt-Rottluff), le manque de renseignement sur l'économie dans le groupe (leur quotidien (INTERIEUR de Heckel ne dit pas assez), leurs places dans le marché d'hier), on ne peut qu'encourager la visite aux expositions et l'achat d'un catalogue qui  ouvre les yeux en imprimant rudement les pupilles et qui fait encore mieux mesurer la tâche toujours plus grande qui attend les historiens de l'art.

 

 

Rossini

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