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29 juin 2013 6 29 /06 /juin /2013 05:55



 “À Éden-Olympia, le travail est le jeu suprême, et le jeu le travail ultime.”

 

 " C'est pour une bonne cause:Éden-Olympia et l'avenir. Plus riche, plus sain, plus accompli. Et infiniment plus créatif. Ça vaut quelques sacrifices si nous produisons un nouveau Bill Gates ou un autre Akio Morita."

 

    Dans le domaine de la SF et de l’anticipation par extrapolation (lointaine ou limitée), la réputation de J.G. Ballard est grande même si son succès fut tardif. En l’an 2000, il livrait SUPER-CANNES un roman qui avait l’ambition de décrire la (notre) réalité globale en train de naître.
 Comme le titre l’indique, le décor de l’action se situe dans la région cannoise avec comme pôle majeur un “parc d’activités” correspondant à la “Silicone Valley “ de la France, de l’Europe, le technopôle de Sophia-Antipolis.
 Un parc d’activités appelé (comme un cinéma d’autrefois) ÉDEN-OLYMPIA, “laboratoire d’idées pour le nouveau millénaire” qui fait le bonheur de ses résidents (grands managers connectés au monde mondial mais coupés du monde “réel”(1)) qui a pourtant connu un stupéfiant scandale avec le massacre incompréhensible de sept grands personnages et des trois otages perpétré par un docteur, David Greenwod, pourtant connu pour sa gentillesse, son altruisme, son humanisme, son rôle pour aider les gens (et les jeunes émigrées) en détresse, notamment dans un foyer de La Bocca. Événement médiatique, le crime s’effaça des gazettes quand il fut acquis (avec précipitation) que son geste relevait d’un accès psychotique.
 Sa remplaçante, Jane, vingt-set ans (ex-hippie (cultivant herbe et saleté) devenue médecin), rejoint EDEN-OLYMPIA en compagnie de son mari, Paul Sinclair, aviateur et spécialiste de l’aviation qui peut tranquillement soigner son genou brisé lors d’un exercice récent. Oisif tandis que Jane travaille presque sans arrêt et avec frénésie, Paul trouve peu à peu dans la résidence de Greenwood des indices étranges que personne ne songea à exploiter. Même si le crime de sept pontes semble incontestable le doute le saisit:il se livre à une contre-enquête souvent orientée, manipulée par les maîtres du lieu.


 Ce roman propose une thèse qui ne peut que plaire aux amateurs de théories du complot. Ballard tente de cerner les nouvelles formes de contrôle. Au départ, rien de bouleversant:l’élite du monde à venir, la nouvelle aristocratie, vivra repliée sur elle-même, avec ses lieux réservés (soigneusement gardés), ses codes et son ignorance absolue de tout ce qui n’est pas elle. En dehors d’elle, des soutiers, des esclaves, de simples figurants (Cannes, les films, les camescopes, les caméras sont bien leur place dans le roman). L'idée nouvelle vient alors:la richesse colossale de cette oligrachie sera peu de chose à côté de son vrai privilège:pouvoir travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre et presque se passer de loisirs puisque le travail sera un loisir bienfaisant même s’il est exténuant. Le sexe, la drogue seront alors en recul. Les conflits seront abolis, le civisme sera encombrant. Le loisir sera fait “pour les moins qualifiés, les moins compétents, ceux qui n’apportent pas une contribution positive à la société (…) les poètes, les agents de circulation, les écologistes…”.
  Il restait un problème que Sophia-Antipolis a réglé:parfaitement heureux, ces banquiers, dirigeants pharmaceutiques et autres magnats de multinationales avaient malgré tout de petits pépins:phobies, allergies etc....Il fallait un remède global que Wilder (le bien prénommé) Penrose inventa:la psychopathologie curative. Le psychiatre cherche en chacun la pulsion archaïque et trouble puis la libère et intègre tous les patients à des manifestations qui peuvent prendre la forme d’expéditions punitives en groupe (vols, violences proches du lynchage raciste-ratissage, ce mot du militarisme colonial est justement employé) qui, selon Penrose garantissent un équilibre psychique parfait et assure une nouvelle forme de cohésion sociale: “les décharges d’adrénaline, l’horripilation de la peur et de la fuite avait rééquilibré le système nerveux des entreprises et propulsé les profits à des sommets sans précédents.” Il s’agit d’encourager, à petites doses, la psychose et le passage à l'acte. La psychopathologie orientée favorisant un darwinisme social d’une autre espèce qui table beaucoup sur l’infantilisation par la cure.


    Pourquoi Greenwood a-t-il eu une crise de démence? Jane marchera-t-elle sur ses traces? Paul sera-t-il un objet d’expérience et tombera-t-il dans les pièges d’Éden-Olympia?


 S’appuyant presque habilement sur ALICE AU PAYS DES MERVEILLES et  très lourdement sur la figure du minotaure, Ballard, qui connaît son métier, nous offre un thriller écrit dans un style efficace mais inégal (des platitudes sont fréquentes à côté de belles trouvailles, les passages sexuels ne prétendant pas à la postérité), construit très classiquement (2) en trois étapes: l’enquête (un peu trop facile) puis la tentative de recrutement de Paul par les constructeurs de l'Ordre nouveau nommé Eden-Olympia..tandis qu’une nouvelle maîtresse, Frances, impliquée totalement dans cette machine ségrégative le pousse à faire de l’entrisme pour l’aider à faire éclater le système de l’intérieur.

 
 Par principe, un thriller multiplie les signes et les signaux inquiétants et Ballard s'y emploie largement. Dominé par de longs dialogues explicatifs, parasité par des  répétitions qui nous préviennent de trop loin (les avions avec banderoles dans le ciel!…), voici un roman extrêmement démonstratif qui simplifie les psychologies et les rapports de force. C’est sans doute le prix à payer pour une allégorie politique qui se veut ambitieuse et dont la qualité prédictive reste à prouver ou ...à contrer....

 

Rossini, juin 2013


NOTES


(1) "À Éden-Olympia, en revanche, les ordinateurs centraux tournaient à plein régime et les antennes paraboliques aspiraient les informations se déversant du ciel. Un trafic électronique déjà dense parcouraient les réseaux câblés, acheminant les indices Dow Jones et Nikkei, l'inventaire des entrepôts pharmaceutiques de Düsseldorf et les dépôts de morue de Trondheim."

 

(2) Nous sommes loin de son meilleur livre:LA FOIRE AUX ATROCITÉS.

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