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18 octobre 2017 3 18 /10 /octobre /2017 10:35

« L'auteur : Non, car je ne pense pas que le De rerum natura soit un poème épicurien au sens où vous l'entendez.»p.128

 

    Voilà un travail d’historien qui devrait bouleverser bien des domaines : apparemment destiné aux spécialistes et aux lecteurs de Lucrèce, ses propositions, par effets de dominos, risquent de travailler bien des certitudes, de détruire bien des croyances et, peut-être, d’abattre quelques remparts universitaires. 

  Déjà connu pour d'autres travaux (La philosophia et ses pratiques d'Ennius à Cicéron et Droiture et mélancolie) Pierre Venturini, avec une érudition sidérante (cinquante pages de notes serrées où il lui arrive même de confier ce qui ne lui a pas été possible de lire !) et une verve polémique incontestable, s’attaque ici à toutes les facilités qui, depuis plus d'un siècle s'attachent spontanément à l’évocation du nom Lucrèce et qui constituent un mythe. 

  Le sous-titre (Archéologie d'un classique européen) mérite attention : archéologie définit bien le projet et annonce combien de strates textuelles il faudra traverser (et reconstituer) ; le mot classique est, pour partie, ironique : Lucrèce passe aujourd’hui pour un classique mais un classique qu’on aurait longtemps maudit, chassé, caché, un classique de la subversion. C’est l’archéologie d’un mythe moderne qui nous attend. Parce que, pas plus qu'ailleurs, le mythe n'a de place dans les humanités.

 

Un mythe comme cible

 

   Vesperini résume dès l‘introduction le mythe auquel il veut s’attaquer. « Ce mythe raconte qu’il y eut à Rome, à la fin de la République, un homme -  philosophe ou poète, on ne sait pas bien - animés de convictions épicuriennes, qui, désireux de transmettre sa foi à ses contemporains, aurait composé un poème didactique: le De rerum natura (“Sur la nature des choses”). Ce poème, trop “radical” pour son temps, trop “moderne” serait passé inaperçu, comme son auteur. Il aurait suscité aussi la méfiance du régime impérial, puis de l’Église, ce qui expliquerait qu’il ne soit jamais cité au Moyen Âge. Heureusement, à la Renaissance, la redécouverte du poème par les humanistes aurait permis à l’Europe de s’initier aux théories d’Épicure, contribuant ainsi à la destruction du monde médiéval, et donc à l’avènement du monde moderne.» Un écrivain "radical", constamment “négligé”, “rejeté”, “censuré” pour des thèses qui choquaient et dont la “modernité” éclata heureusement à partir de la Renaissance. S'esquisse alors progressivement une version "scientiste" du mythe : Lucrèce serait un précurseur du rationalisme moderne.

 

  Une autre cible, occasionnelle, réactualisa récemment le mythe : «un grand savant américain», S.Greenblatt, obtint au début des années dix de notre siècle un beau succès éditorial et public avec THE SWERVE, véritable condensé de tout ce qui constitue le mythe auquel s’attaque précisément P. Vesperini - Greenblatt n'étant dans cette querelle que le représentant d'une certaine conception de l’histoire que l'historien français combat avec vigueur. D'autres auteurs auront droit à un examen sévère  : E. Garin et son hégélianisme puis Alison Brown grâce à laquelle il nous livre une réflexion sur le travail d'historien tel qu'il le conçoit. On a compris que ce livre se veut aussi un manifeste. Et s'il traite de Lucrèce c'est justement pour dénoncer la spécialisation sur un seul auteur et la récente mode qui s'attache à un poète qui mérite mieux que d'être un nom et une légende.

 P. Vesperini fixera le moment de l'émergence du mythe  en se fondant sur un article célèbre de Casimir-Alexandre Fusil : tout est préparé par le XVIIIème siècle mais, au-delà de la culture romantique (V. Hugo est pris comme témoin et rêveur éloquents), ce sont les universitaires à partir de 1850 qui imposent la figure mythique de l'auteur du De rerum natura. Il occupe soudain une place considérable dans l'édition comme dans les réformes des lycées. Ce phénomène est européen. Il convient donc de relire Lucrèce (ou de le lire enfin) et de parcourir le destin de son œuvre en traquant contre-sens historiques, lectures biaisées et idées reçues.

L'enjeu de la bataille

  La bataille est rude : l'auteur (qui se choisit de nombreux alliés de qualité) attaque principalement des historiens, des spécialistes des textes classiques et semble délaisser les philosophes qui depuis plus d'un siècle sont pourtant tombés eux aussi dans les pièges du mythe  dont il nous détaille les aspects.

 

  L'enjeu est immense : au-delà des connaissances fondamentales qu'il apporte sur l'originalité du monde romain (ne serait-ce que la notion de butin ou le principe de "civilisation par les autres"), l'enjeu est à la fois méthodologique (promouvoir le suspens (presque "phénoménologique") de nos “catégories” trop familières (comme l'opposition culture savante / culture populaire), de nos “a priori historiques”, de notre vocabulaire impropre (conviction, sincérité, conversion) ; emprunter à la pragmatique  à laquelle l'auteur tient beaucoup et qu'il pratique avec art ; construire un savoir en partant d'une déconstruction minutieuse). L'enjeu est également esthétique (les œuvres sont avant tout œuvres d'art et notre mode traditionnel de lecture (fond/forme) les trahit), culturel et civilisationnel (lutter contre nos illusions et nos facilités et pour la connaissance de la culture dialectique qui domina si longtemps et qui manque tellement aujourd'hui) voire anthropologique (préférer reconnaître les différences plutôt que de s’accommoder par paresse des fausses ressemblances et des récits à la téléologie facile). Un exergue empruntant à J. Brodsky condense la position de Vesperini «For aesthetics is the mother of ethics.»

 

Progression

 

  Le livre avance avec rigueur. Pour commencer, il répond à la question Qui était Épicure?  La construction d'ensemble en dépend beaucoup. 

 Ensuite, l'ouvrage présente deux grandes parties : dans la première, pour arriver au De rerum natura, l'auteur restituera patiemment (et savamment)

 

1-les contextes biographique, historique, culturel, artistique et littéraire de l'œuvre et de son auteur. Viendront ensuite

 

2-l’analyse du poème, sa poétique ainsi que les modes de sa réception.

 

Dans la seconde grande partie du livre (LUCRÈCE APRÈS LUCRÈCE), il sera question de la diffusion et de la réception de cet auteur réputé "radical" avec un passage plus dense et plus polémique autour de la redécouverte de son poème (à la Renaissance), étape majeure du récit mythique dont on regardera les derniers avatars (Contre-Réforme, Lumières, Romantisme) avant de prendre connaissance du moment exact de sa fabrique.

 

 

Épicure

 
    Dès le prologue du livre, adoptant une distinction qui en appellera d’autres (la doctrine est ici nettement séparée de son exercice réel qui ferait sens à lui seul), P. Vesperini traite Épicure de gourou dominant (y compris par la répression et la délation) une secte très archaïque, la plus archaïque même des écoles athéniennes. P. Vesperini ne traîne pas pour surprendre le lecteur “moderne” que nous sommes : il rappelle qu’à Athènes, une école philosophique, quelle qu’elle soit, était religieuse à l’intérieur d’un riche polythéisme et que le projet de chacune était de mener ses disciples à devenir dieu (1): entendons, à se hisser au-dessus des limites de la condition humaine comme le firent les héros de la mythologie que tout le monde connaissait. Une des clés du livre tient dans cette affirmation : «Épicure est un philosophe profondément religieux.» Sur le modèle des mystères d’Éleusis et de l'illumination qu'ils rendaient possible, les écoles (celle de Platon comme celle d’Aristote) tendaient à mener quelques-uns vers le bonheur et la connaissance, P. Vesperini parlant d’expérience dans les deux cas.

 Ce n’est pas tout : il y avait, de son vivant, un culte de la personne d'Épicure célébrant sa sagesse, culte encourageant des cérémonies d’anniversaires et de fêtes, sans pour autant négliger les rituels de la religion athénienne. Ce fait se “justifiait” par une sagesse qu’Épicure possédait à sa naissance. Si bien que le sage ne reconnut aucun maître, aucune dette philosophique et pratiqua l’insulte sans retenue (ses adversaires ne l'épargnèrent guère, et pour longtemps, ce que ne dit pas assez notre auteur). La dimension de transe oraculaire digne d’Éleusis se rencontrait aussi chez lui. L’idée que nous nous faisons alors de cette secte est celle d’une grande famille commandée de façon autoritaire et répressive particulièrement dure (l'auteur parle de terreur) avec ceux qui osaient la quitter. Une rude orthodoxie régnait et promettait au disciple l’accès à une condition divine mais de son vivant. Pour P.Vesperini, l'épicurisme n'est pas exempt d'archaïsme et ne met pas à l'abri de l'irrationnel.

   Assez longtemps, l’école d’Épicure en raison de sa doctrine (de ses principaux dogmes) ou de sa dimension communautaire ou encore de ses pratiques mystériques fut exclue à Rome. En revanche, au temps de Lucrèce, deux siècles après, elle était à la mode et on rencontrait Épicure «sur les bustes et les hermès des villas, sur les tableaux, la vaisselles, les bagues, les mosaïques.» Et, pour un fondateur de secte aussi peu fréquentable, Ciceron écrira à Memmius (le commanditaire de Lucrèce, exilé alors) afin qu'il ne tente pas une opération immobilière en se débarrassant des ruines de la maison d'Épicure qu'il possédait et que les Romains de passage visitaient.

 

Le monde de Lucrèce, Lucrèce en son monde : «quel sens pouvait avoir dans ce monde le fait de composer le De rerum natura ?»

 

  En deux forts chapitres l'historien nous offre tous les éléments qui constituent le contexte de l’écrivain (politique, social, cultuel et culturel) et rappelle des données qu’on néglige beaucoup alors qu’elles expliquent bien des aspects de l’œuvre et de sa réception. Il s’agit de nettement isoler, à tous les niveaux, les ordonnancements et les pratiques d’alors pour les démarquer de ce que nous confondons avec notre “modernité”. Il veut lentement nous mener vers les activités d’écriture et de lecture.

 

    Lucrèce était citoyen romain d’une république fortement hiérarchisée avec deux ordres (sénateurs et chevaliers) qui avaient, entre eux, pour les premiers, des rapports toujours menacés par des compétitions orientées par le souci de la gloire et, avec le reste de la population (la plèbe), un rapport clientélaire (des services en échange de nourriture, d’argent et de protection). Ainsi l’aristocrate romain se devait-il d’être juriste et orateur comme on verra mieux plus loin. La dimension politique est alors inséparable de la religion qui sert la carrière : il convient de ménager les dieux mais un docte romain ne peut être «un homme divin». À l’époque de Lucrèce, les guerres de conquête ont enrichi Rome mais l’ont orientée vers des guerres civiles qui feront tomber la République. 

  Ce cadre posé, le quotidien du Romain mérite d’être examiné pour voir que sa priorité est l’inverse de la nôtre : l’otium prime largement sur le negotium et, dans le domaine de l'otium (essentiel de la vie civilisée, c'est-à-dire de la "vie en ville", urbanitas (2)), un modèle domine : le modèle grec que P.Vesperini décrit parfaitement et énumère dans toutes ses  nombreuses composantes.(3) Toutefois, il relativise cet élément en définissant une inflexion déterminante : le Romain emprunte beaucoup au Grec (dont il connaît la langue - il se passe des traductions) mais il accommode toujours cet emprunt à son univers et même il lui arrive souvent d’inventer ses emprunts. Autrement dit (et bien dit) «la Grèce de l’otium et de l’urbanitas était une Grèce imaginaire, une Grèce de Romains.» Une Grèce savante idéalisée dont il donne beaucoup de preuves et qu’il faut concevoir comme médiée (c'est son mot) par toutes les formes du savoir grec (lettres, culture, études, amour et recherche des discours, philologie, philosophie) qui étaient perçues de façon liée et donc supposaient une visée encyclopédique qui touchait aussi la philosophia (ce que notre chercheur a démontré dans d'autres travaux) : idéal aristotélicien qui n’est plus le nôtre mais qu’il faut avoir toujours en tête pour en reconnaître l'étendue et la portée. De même qu'il faut se convaincre que tous les savoirs grecs impliquaient la notion de plaisir (delectatio) (pris ou recherché).

Vesperini décrit alors, à l’aide d’un dialogue de Cicéron, ce qu’il appelle les pratiques de sociabilité des élites hellénistiques (à une exception majeure que nous apprendrons bientôt) et qui sont particulièrement codées. Où que l’on soit (banquet, rue, thermes...etc.), l’échange né d'une rencontre, commence par un «étonnement, une question, un problème.» À partir de là, puisant dans leur mémoire (culturelle), les interlocuteurs vont se saisir dans la "réserve" de tous les savoirs disponibles (autant de “lieux”) d’un élément pertinent porté par une parole aussi élégante, habile, joueuse que savante qui met en valeur le sujet, l’interlocuteur et l’échange. L’amorce, le développement de l’entretien font appel à des savoirs connus et lance une apparente "improvisation" bien canalisée qui circule (comme un met ou une coupe) pour le plaisir. Point majeur qui nous prépare à l'entrée en scène de Lucrèce et de son De rerum natura : personne ne cherche la vérité et cette réserve abondante de savoirs convoqués selon un certain ordre n’implique aucune conclusion définitive, aucune hiérarchie, aucun système. Plutôt une prolifération potentiellement infinie mais tout de même construite, et avant tout, vouée à l'agrément.

 P.Vesperini ajoute un autre élément que le moderne refuse de prendre en compte chez le Romain: le plaisir qui accompagne tout l’échange a, en plus de tout ce qui a été dit, une dimension esthétique qui, selon lui, met l’accent prioritairement sur “l’imitation illusionniste des phénomènes” aussi bien en sculpture, en peinture qu'en poésie. L’exemple qu’il prend, la sphère d’Archimède, montrerait l’inséparabilité des plaisirs encyclopédique, ludique et esthétique.(4) En même temps, deux éléments significatifs ne doivent pas être négligés :

1-Tout d'abord, une exception majeure entre le monde grec et le monde romain : le savoir grec a un rapport aux Dieux que les Romains ignorent. La curiosité détachée du divin n'était pas acceptée par les Grecs.

 

 

 

 

2-Ensuite, chez les Romains, volonté de savoir et plaisir pris au savoir animent toute la ville, y compris le peuple. Rome était une ville savante qui avait fait l’éducation des Romains par les spectacles, les conférences où tous se pressaient avec enthousiasme : dans leurs rivalités, les aristocrates romains fortement socialisés par la lecture entretenaient de cent façons le plaisir que le peuple prenait à la culture. Dans ce sens, P.Vesperini met en exergue un mot (ornamentum) et une pratique (les dons à la ville de tous les objets pillés qui faisaient de Rome la ville-univers, cadeaux que faisaient même les plus petits édiles) et il fait même du butin une clé de l’originalité romaine : avec l’élimination de la dimension cultuelle des objets, on verrait apparaître chez les Romains, la notion de valeur esthétique des œuvres d’art  et celle de «culture lettrée et artistique telle que nous la connaissons encore : un domaine de l’esprit entièrement profane, et aussi (…) entièrement autonome et indépendant de la vie sociale et politique.»(5)

 

 

 Le butin touchait aussi les humains, à commencer par les otages et les esclaves lettrés qu’on affranchissait sans qu’ils perdent leur dépendance réelle.

     L’esclave lettré avait une grande valeur marchande : dans le plaisir de la connaissance et dans le souci des carrières, il permettait aux aristocrates de maîtriser les savoirs grecs qu’on sait si importants à Rome. Un orateur soucieux de son rang devait se distinguer par une culture «recherchée» que venait initier ou compléter une précieuse "prise de guerre"....D'autant qu'existait la forte concurrence des orateurs de province (Cicéron en était un au départ), eux aussi formés par le savoir grec. La connaissance des livres de philosophie cherchant plus à obtenir un ensemble d'opinions (bien formulées et qui permettent de "briller") sur tous les sujets qu'à opter pour une seule de ces philosophies.

  Ouvrant largement le panorama historique, P.Vesperini dégage alors une des singularités de la culture romaine qui veut que l'on soit civilisé par les autres. La passion pour la Grèce qui pouvait connaître des excès et devait être modérée s'inscrit dans cette tradition. L'indiscutable hellénisation des Romains n'a pourtant jamais permis les cultes initiatiques, la pédérastie ni jamais connu, point majeur dans la construction de la thèse, d'école philosophique.

 

Bibliothèque 

 

  Pour bien comprendre ce qui nous attend, isolons un élément sur lequel Vesperini revient souvent : l’importance du musée d’Alexandrie et de sa bibliothèque comme modèle de savoir encyclopédique et comme creuset de créations poétiques prenant le sillage des grands poètes recueillis et commentés. Dans les deux cas (encyclopédie, “poétique”), on s’approche de Lucrèce et de son poème. Les poésies  qui émergèrent alors avaient un caractère éminemment livresque, et les poètes ne cachaient pas le côté «non “naturel”, artisanal, artificiel et artistique de leur poème.» Aucun doute: «la poésie hellénistique multiplie les citations, les allusions, les variations, les gloses, les remplois de mots disparus, mais aussi les passages réflexifs, métapoétiques (…) et ne cherche pas à convaincre : elle cherche à procurer un plaisir esthétique et ludique.» Plus tard dans le livre, il sera question des livres-bibliothèques (Pline, Diodore, Strabon, Problèmes d'Aristote, Questions de Sénèque) qui permettront aussi de distinguer l'originalité de Lucrèce.

Poète Épicure pourtant, avait interdit au sage de composer des poèmes»)

 Enfin approche Titus Lucretius Carus. L’historien, après avoir rappelé la distinction entre littterae et libri, nous apprend ce qu’est à Rome un poeta, mot qui englobe la création aussi bien de poèmes que de pièces de théâtre mais également de productions "mineures" (éloges, épitaphes, traductions etc.). Depuis longtemps, la réputation du poeta n’est guère flatteuse parce qu’il appartient à l’univers du banquet dans lequel il dit ses vers et met sa parole au service d’un autre, indignité majeure. P.Vesperini détaille parfaitement les aspects de cette condition qui changea avec le temps au point qu’après Ennius (longtemps considéré comme le nouvel Homère - l’étude ici est précieuse d'autant plus que Lucrèce dans son poème s'attaquera à lui et à son autorité), le poeta est un savant (Ennius sait tout, MAIS de façon encyclopédique (il écrit et commente avec une érudition universelle)) doublé d’un sage et que son domaine est immense : toutefois, l'idéalisation de certaines figures est souvent patente et tous les poetae ne profitaient pas toujours de ce régime de faveur.

 

  Nous sommes instruits ensuite sur le destinataire (et surtout, le commanditaire) du De rerum natura, le glorieux Memmius, sur sa carrière, sa famille et ses protégés (des poètes (dont Catulle), un sculpteur, des grammatici (nous y reviendrons) et des philosophes) et sur sa volonté de ne jamais oublier de se démarquer par les références grecques que nous savons obsédantes dans l’aristocratie romaine.  Memmius s’est donc construit une double image (celle du forum, celle de l’otium) d’orateur parfaitement romain et parfaitement hellénisé. Pour notre historien, on ne comprendrait rien à ignorer que Lucrèce fut «un poète parmi d'autres poètes» et que son commanditaire joua un rôle peu négligeable. 

 

 Pourquoi commander ce De rerum natura ? Pourquoi ce genre (l’épopée) a-t-il été choisi?

 

   Avec toute son érudition, l’auteur règle rudement plusieurs questions:

 

1-Lucrèce a sans doute derrière lui d’autres œuvres (perdues) et c’est en poète connu et reconnu qu’on lui passe cette commande. Le mythe voudrait qu'il ne soit l’auteur que d’une seule œuvre.

2-P.Vesperini réévalue la question des genres littéraires qui n’avaient pas les contraintes sévères que le moderne leur attribue fautivement : l’épopée à Rome n’est pas seulement narrative ou mythologique, elle embrasse à peu près tout. Dans la foulée,

3-il liquide la notion de poème didactique ou scientifique (invention du XVIIIè) qu’on accole toujours au poème de Lucrèce pour réduire la poésie au rôle d'auxiliaire servant à faire "passer" la complexité du savoir.... L'historien est tranchant : ce n’est pas le savoir à communiquer qui importe dans le genre de l’épopée c’est le plaisir qu’elle procure en tant qu’œuvre d’art (point majeur préparé depuis longtemps comme on a vu) tout en énonçant aussi du savoir, de la connaissance, de la vérité mais jamais de façon transparente comme le veulent les tenants de l'hypothèse didactique et jamais, faut-il le rappeler, de façon systématique. Entendons : si Lucrèce avait voulu seulement enseigner l’épicurisme, il n’aurait pas choisi l’épopée.

 

 Revenons au commanditaire : plutôt que de faire louer sa carrière militaire, Memmius, connaisseur raffiné des lettres, opta sans doute avec insistance pour une ambitieuse épopée sapientielle prenant «pour matière la sagesse et les savoirs grecs», genre «qui était à la mode» et qui impliquait autant d’amusement et d’émerveillement que de savoir. Et le prestige du sujet (la nature) rejaillirait sur son nom (but principal de la commande) en l’associant à la sophia.

 

   On apprécie alors les précisons qui nous sont données sur une autre question pratique, presque tactique : comment pouvait-on faire connaître et faire vivre à Rome une œuvre aussi imposante, un tel poème monumental? Nous apprenons beaucoup sur la ”promotion” d’un livre : lectures d’extraits faites à haute voix d’abord pour le commanditaire (lecture subtile, Lucrèce travaillant avant tout pour satisfaire l’oreille), circulation des “copies”, lectures dans les théâtres ou les maisons faites par un esclave, au bain ou au moment de la  sieste. La lecture portait plutôt sur des extraits aimés. Dans le cas d’un succès et d’une durable reconnaissance, l’œuvre entrait dans les “classiques” et, alors commençait le jeu presque infini des citations et des commentaires que pratiquaient les grammatici que nous définirons plus loin grâce à l'historien.

 

   La démonstration se poursuit. Ont été déterminés un genre haut et un sujet ambitieux qui touche à la sophia. Reste à régler la focale sur le choix du philosophe et, dans ce champ, sur la question de la conviction du Romain en général.

 Une confusion et une erreur de perspective sont à éviter : le Romain n’épouse pas les théories d’un philosophe mais prête attention à son éloquence, à ses capacités dialectiques, à son savoir (sans s’attacher à ses dogmes) et à ses qualités morales (sans qu’il soit un directeur de conscience). P. Vesperini est formel : le Romain ne croit pas au savoir des philosophes et il se distrait à leurs querelles. Les certitudes proférées par eux le font plutôt rire ; il garde en ce domaine un prudent scepticisme et accorde (provisoirement) son crédit à une proposition et jamais à un système. Le Romain, même celui qu’on sait proche de tel ou tel penseur, n’adhère jamais complètement à une théorie. Il garde toujours des distances. Un Romain n'est jamais converti par un penseur, il goûte simplement au plaisir d'un bel exemple, d'une  suite de beaux vers ou d'une image qu'il réutilisera.

 

 Dernière question : pourquoi choisir Épicure? Il était à la mode et apportait un gage d’hellénité. Memmius voulait profiter du courant grec  : l’épisode de la maison d’Épicure à Athènes dont il était propriétaire et que, dans son exil, il voulait faire fructifier prouve assez que Memmius n’était, en tout, qu’un opportuniste.

 

Dialogue 

 

 Avant de passer à la partie décisive de son travail (déjà très riche), P. Vesperini nous propose un intermède sous forme de dialogue plaisant qui prend en compte ce qui a déjà été avancé (aucun Romain ne croit en l’immortalité de l’âme et aucun n’a peur des fantômes et des centaures ; la création du monde par les dieux n’est plus une croyance romaine et la mortalité du monde est un lieu commun; il n’y a jamais eu de "censure" à Rome) et qui, avec une lecture à vol d'oiseau prépare à des propositions majeures sur le poème, sa composition, son fonctionnement.

 Outre beaucoup d'ironie, dans nombre d'affirmations de l'auteur on retient que Lucrèce ne suit pas certains dogmes d’Épicure (la nature de l'âme), qu’il s’inspire d’autres qui ne sont pas dans le corpus du sage et que, dans l’ensemble, il ne fait guère cas de ses grands énoncés qu'il expédie (comme les articles majeurs de l’éthique d'Épicure qui concernent la pluralité des mondes, l'univers infini, l'indifférence des dieux). Il lui arrive aussi de les contredire (dès la prière à Vénus (6)) voire de les trahir (sur la sexualité, «il peint l'acte sexuel en soi comme une folie, une frénésie») et de préférer s’appesantir sur des points secondaires ou emprunter beaucoup aux problèmes aristotéliciens (l’auteur y reviendra). Sans oublier que notre poète passe son temps à polémiquer avec des philosophes présocratiques qui étaient bien loin des préoccupations de  ses lecteurs ou à soutenir des propositions que tout Romain partageait. Dit rapidement : Lucrèce oublie, néglige, passe vite sur le corps de la doctrine ou consacre de longs passages à des éléments qui n’ont pas ou peu de rapport avec elle. En se limitant pour l'heure à ces seuls déséquilibres, l'auteur juge bon d'avancer que le De rerum natura n'est pas un poème épicurien et encore moins un manuel d'épicurisme.

Nous allons apprendre que «l'épicurisme ne devait être que l'amorce, l'occasion du parcours de toutes les res.»(je souligne)

 

 

L’art de Lucrèce, le poète  «Chaque discours, presque chaque mot du De rerum natura, appelle d'autres discours, d'autres mots.»

 

   Nous entrons dans la partie la plus instructive de l’étude et abordons le cœur de toute la démonstration. Le De rerum natura s’inscrit dans une tradition hellénistique déjà ancienne qui n’a rien à voir avec le poète de la Grèce archaïque et encore moins avec la conception moderne que nous avons de lui. Tout aurait basculé avec la bibliothèque d’Alexandrie prise comme modèle : dès lors, le poète joue volontiers la carte de l’artifice, du jeu citationnel.

 

  Ce poète n’est pas celui qui dit JE dans le texte de Lucrèce : ce JE renvoie à son double fictif qui assume seul des convictions politiques qui ne sont pas celles de l'auteur.

 P.Vesperini met alors en avant une des grandes hardiesses de Lucrèce : il distingue les quarante-neuf premiers vers (consacrés à l'hymne à Vénus, à "l'imitation" des épopées archaïques) auxquels succède soudain une énonciation loin de l'épique, familière et assez peu noble, destinée à Memmius : elle annonce presque une conférence (dissertatio) sur une doctrine philosophique qui mériterait plutôt la prose, ce qu’on rencontrait souvent chez des auteurs soucieux aussi de travailler le rythme de leur éloquence….L'historien attire l’attention sur un genre poétique qui à Rome mettait en hexamètres des discours normalement destinés à la prose : la satura qui  n’avait pas grand-chose à voir avec la satire moderne et était la recréation romaine de différents genres énonciatifs grecs comédies, mimes, images, dialogues et [point décisif], discours de philosophes grecs.» Une preuve : le succès de Lucilius s’appuyait sur des éléments du savoir encyclopédique des philosophes et «les modèles grecs de la satura étaient liés à la philosophia.» 

   C’est ce choix qu’aurait fait Lucrèce qui jouera, dans «un geste poétique inouï», de «deux énonciations poétiques très éloignées l'une de l'autre», l’épopée (un chant «prenant pour matière l'univers») et la satire (qui expose et enseigne). Se propose donc un dispositif à la fois épique et philosophique en un seul mètre mais avec deux registres de discours.(7) Tour à tour, Lucrèce (si on peut dire) chante et parle, touche et enseigne et promeut ainsi «une palette de figures (figurae) aussi variée que l’univers.» Ce qui explique pourquoi il sera imité aussi bien par des épiques (Virgile, Ovide, Stace, etc.) que par des poètes satiriques (Horace, Perse, Juvénal, etc.). Passant avec beaucoup de nuances de l'épopée à la satire, et inversement, le poème promeut la variété comme principe esthétique. À la conclusion de sa première grande partie, ce sera l'acquis le plus remarquable du travail de l'auteur.(8)

 

 

 

  Cette distinction faite entre cette double persona, P.Vesperini se demande quelle figure du philosophe le poète Lucrèce a choisi de proposer. Nous sommes alors sur une scène de théâtre où apparaît un penseur dogmatique qui n’épargne pas ses adversaires et croit en la vérité de ses thèses : or, l'historien nous a dit que les Romains n’adhéraient pas à ce type de discours, au mieux, les trouvaient inutiles et s’en amusaient même le plus souvent. Pourtant depuis longtemps la question de la guerre contre la religio trouble les lecteurs de Lucrèce : s’agit-il de la religion ou de la superstition ? Pour Vesperini aucun doute n’est permis : Lucrèce propose un épicurisme hostile à la religion (mythes, rites, croyances), ce qui serait en contradiction avec ce qui nous a été rappelé au début des pratiques encouragées par Épicure dans son école et ce qui ressemblerait plutôt aux discours du cynique ou plutôt des «paracyniques». Avec toutes ses affirmations virulentes, Lucrèce donnerait seulement dans la littérature parce qu’il sait bien que personne à Rome ne croyait aux mythes qu’il attaque. Mieux : on le prétend souvent «âpre, amer, “sinistre et sévère”» (le romantisme a beaucoup aidé à installer cette conviction que tous les philosophes reprennent), figure qui s’applique traditionnellement au philosophus qui s’en prenait aux conventions sociales (la religion, le plaisir, la politique) et qui ravissait le public par de puissants paradoxes. «C’est à ce type-là qu’appartient le philosophus de Lucrèce.» Autrement dit : à l’opposé du philosophus épicurien. Il y a aurait dans cette série de scènes comme un jeu de masques. Lucrèce n'avance pas masqué mais il joue du masque.

      C’est le moment où P.Vesperini s’interroge sur la matière du poème dont il faut bien entendre le titre dans lequel rerum compte autant que natura. Non seulement les res désignent tous les êtres animés et inanimés mais aussi «toute matière de pensée, de savoir, de connaissance. C’est tout ce qu’on a dans la tête, dans le cœur, dans la mémoire, et qui se rend par des mots.» Et, en particulier les opinions des philosophes. Comme un mot, une idée est une res. Et la matière du poème peut se définir de deux façons : d’une part, avec ce qui relève de la physique des choses (la nature (mais dans l’Antiquité la nature est d’emblée culturelle nous dit l'auteur)) et, d’autre part, avec ce qui renvoie à ce que nous appelons “culture”, le domaine des choses qui “surviennent” sans transformer la nature des chosesmœurs, cultes, guerres, techniques, institutions»). P. Vesperini met bien en évidence un verbe archaïque (cluere) parce qu'il attire l’attention sur l’ensemble du projet de Lucrèce. Le poète aurait deux ambitions : 1-il veut faire sonner, retentir tout ce qui existe déjà de grand, de mémorable («la dimension épique à la hauteur de laquelle il doit s’élever») et 2-«il veut élever par son art tout ce qui en apparence ne devrait pas retenir l’attentionatomes, toiles d’araignée, moustiques etc. ou encore de la vie quotidienne, moyennes, humaines (…)).» Il ne s’agit pas d’accueillir toutes les choses dans le poème mais, avec la natura, de tenir «le fil qui relie la totalité des choses». Chez d'autres, le fil sera la géographie (Strabon), l'Histoire (Diodore de Sicile), le recueil d'épigrammes (l'Anthologie Palatine) et, évidemment, chez Pline l'Ancien, la nature. En tout cas, il n'est pas question d'œuvre totalisante (jamais aucun auteur n'a voulu une œuvre systématique (reposant sur un système)) mais plutôt d'œuvre potentiellement totalisante, avec la complicité du lecteur, et pas n'importe lequel. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises avec les mouvements que recèlent l’écriture et la lecture romaines et que nous allons bientôt encore mieux connaître. Mais retenons l'idée de potentialité à l'œuvre.

 

  Adoptant, après beaucoup d’autres auteurs, l’attitude du guide (périégète) commis à la visite des savoirs de la Bibliothèque (nous y revoilà), Lucrèce va prendre prétexte (prophaseis) des propositions majeures d’Épicure (il ne cite son nom qu'une fois) sur la nature pour produire des énoncés selon une “logique” proliférante de discours savants renvoyant à tous les savoirs disponibles (en particulier dans la mémoire) et qui en appellent d’autres, beaucoup d’autres - SI l’œuvre retient l’attention d’un grand nombre de lecteurs et de grammatici.....Cette œuvre «où les théories d'Épicure servent d'amorces au déploiement de tout le savoir, de tous les savoirs lettrés, matière infinie offerte au plaisir des auditeurs et au profit des autres poètes, orateurs et autres professionnels des lettres.»(j'ai souligné)

    -•Des Grammatici  «Il y a par conséquent, dès le départ, un lien indissociable, essentiel, entre les poètes et ceux qu'on appelle les grammatici.»

  Arrêtons-nous un peu et parlons des commentateurs sur lesquels P. Vesperini attire tellement notre attention depuis le début de son LUCRÈCE. Il les évoque souvent et regrette qu’il n'en soit jamais fait grand cas alors qu’ils nous transplantent «dans une épistémè qui n'a rien à voir avec la nôtre.» Il est vrai que les commentaires du livre de Lucrèce ont disparu mais notre auteur reconstitue parfois (comme sur l'exemple du dogma ("Rien ne naît de rien")) ce que le grammaticus idéal aurait pu dire.

  Parmi les nombreux lecteurs présents dans Rome existe une catégorie indissociable de la production poétique : ces grammatici, des lecteurs professionnels (des professionnels des lettres (grammata))  qui savent tout sur tout, dont la mémoire est phénoménale et qui sont les commentateurs savants des œuvres. Ces lecteurs disaient parfois les textes mais surtout les commentaient d'une façon qui nous semblera étonnante mais n’était pas sans effet sur les productions des livres et sur la lecture du "Romain moyen". Autant dire que le grammaticus était celui qui lisait les œuvres en entier et  éduquait les élites romaines en leur fournissant le "canon" des classiques tout en intégrant les livres récents dignes d’élargir ce canon. 

 La pratique du grammaticus consiste à isoler le moindre énoncé d'un texte, à l'interroger sur tous les plans (mythologique, philosophique, scientifique, technique, lexicographique, rhétorique, etc.), à le connecter à tous les domaines auxquels il peut appartenir, à le renvoyer à des formulations proches, lointaines, opposées qu'on peut rencontrer chez d'autres auteurs et qu'il citera avec un nombre considérable d'exemples à l'appui. Le grammaticus isole, transfère, décontextualise, compare, oppose, intègre à des listes et des sous-listes et, en  détachant un vers, une image, une figure, un mot, il les fait entrer dans des ensembles qui ne sont jamais clos et qui n'ont jamais une forme systématique....Borges aurait pu nous raconter le dialogue de deux grammatici...Mais il préférait la forme brève. 

 

   -• Écrire

 

Le moderne, déjà fortement "secoué", pas forcément à la façon romaine, entre dans le lieu le plus percutant du livre. Autant le répéter : «Les habitudes d’écriture et de lecture des poèmes anciens n’étaient pas les nôtres .»

  Voyons tout d’abord le travail poétique qui prend en compte le fait fondamental que nous venons de voir avec les lecteurs et les grammatici : l'écriture est appel incessant. En disant, un texte fait dire. «Lucrèce est périégète. Il fait le tour des opinions (dogmata) d'Épicure sur la nature. Mais ces "choses" fonctionnent toujours comme les "prétextes"(prophaseis) d'autres choses, qui deviennent elle-mêmes prétextes à d'autres choses encore, et ainsi de suite, à l'infini.»

   C'est de cette façon que «la totalité des savoirs de la Bibliothèque est contenue dans le poème. Il ne se réduit pas au contenu de ses vers. Il est aussi tout ce que le poème fait dire. Chaque discours, presque chaque mot du De rerum natura, appelle d'autres discours, d'autres mots.»(j'ai surmarqué)

 

  L'historien s’attache (jusque dans le détail) au mode de production textuel que Lucrèce met souvent en abyme (l'hymne à Vénus) et auto-désigne de façon métapoétique (ainsi des atomes et des lettres) selon un principe essentiel : «le texte fonctionne comme le monde, comme la nature.» Comme on a vu, Épicure et ses théories ne sont qu’un prétexte dans un texte qui n’aurait rien de doctrinal (en tout cas de façon unilatérale, on sait maintenant qu'on y trouve une dimension cynique et que les énoncés aristotéliciens sont de beaucoup les plus nombreux) et qui vaudrait surtout par sa composition en forme de mosaïque destinée au plaisir esthétique fondé sur la curiosité. Son art de poète rendant quasi présentes toutes les choses évoquées dans une fluidité admirée de tous. Lucrèce offre la varietas et son chatoiement dans un Livre-monde en mouvement qui nous mène de partie en partie sans prétendre imposer un "sens" global à l’œuvre (pas plus qu'il n'en faut aux Annales, ou à l'Énéide, etc.).

  On comprend mieux que P.Vesperini conteste comme réductrice l'idée de vouloir appliquer au De rerum natura la notion de poème épicurien. Proposition qui devrait mal passer auprès des philosophes qui ont tenté depuis longtemps de restituer la cohérence d'ensemble des livres où notre auteur voit au contraire Lucrèce «s'émanciper des dogmata épicuriens et [se faire] de plus en plus péripatéticien.» 

 

   -•Bien préparés par la question des grammatici et par la sociologie du lectorat à Rome nous pouvons mieux concevoir les conditions de réception qu’une œuvre telle que le De rerum natura suppose selon P.Vesperini. Incontestablement, c’est, avec la pratique du poème, sur la lecture romaine que notre connaissance progresse le plus.

En lisant, le Romain s’employait à “secouer” les textes «pour en faire sortir tout ce qui pouvait être utile, dans des contextes qui n'avaient  plus rien à voir avec eux». Pour un lecteur romain chaque séquence, chaque raisonnement, chaque proposition (technique, sapientielle, morale), chaque vers, chaque formule, chaque image, chaque mot («pour son originalité, son origine, sa propagation») etc. est un aiguillage en puissance qui ouvre une grande quantité de chemins possibles et d’enchaînements entre des choses (toutes les choses) que la mémoire du lecteur tisse d’une façon qui pourrait être infinie. Lire c'est entrer dans un mécanisme aléatoire de renvois à d’autres textes selon des séries multiples qui se croisent, se décroisent, se croisent à nouveau : lire, ce butinage pour un Romain, suppose un arrêt, un suspens, une méditation, une échappée loin du texte tuteur pour en détacher un élément qui devient à son tour point de départ d’une série de connexions avec d’autres passages chez d’autres écrivains. Le Romain extrait, greffe, relance, réécrit, cite sans jamais perdre de vue la dimension utilitaire. Et sans chercher, répétons-le, un sens global.

 L'historien utilise à plusieurs reprises l'image du texte comme stock (ou magasin ou collection) immense de mots, de réflexions, de tournures, dans lequel le commentateur prélève ce qui lui plaît, lui semble utile ou mémorable et qu'il pourra remployer dans une autre œuvre, dans une conversation où il veut briller ou dans une plaidoirie. Entendons-le comme on voudra : la lecture romaine est une opération avec comme principe dominant l’extraction qui ne cherche pas à pratiquer comme les Modernes le système de l’intertextualité et la reconnaissance des emprunts mais choisit surtout la réactivation.

 Grâce à de nombreux exemples (le concept d'homéométrie du pré-socratique Anaxagore, les errements de la phrase "tout ce qui est né meurt, tout ce qui grandit vieillit" qui vient de Salluste, le javelot emprunté  à Sueius que reprend Virgile, tant d'autres) on comprend mieux la conviction de Vesperini qui parle d'«apesanteur des choses, [d']absence de toute pré-assignation disciplinaire, [d'] irréductible autonomie d'unités singulières.» Et, au total, comme le suggérait le Dialogue entre auteur et lecteur (moderne), le poème s'affranchirait progressivement des dogmata épicuriens pour leur préférer le savoir aristotélicien. Le comble étant atteint par le livre VI. 

   Deux faits sont acquis :

1-la lecture romaine passe essentiellement par la pratique de l'extrait et «l'organisation du poème de Lucrèce repose sur des principes d'ordre et de cohérence qui n'étaient simplement pas les nôtres.»  

2-«La dogmatique épicurienne du De rerum natura n'est donc que l'échafaudage du poème. Elle en est la structure apparente. Sa structure profonde, véritable, est celle qui juxtapose les res les unes à côté des autres. C'est là-dessus que Lucrèce à fait porter son travail.» Son art.

 

 

 

 

 

 En tout cas, P. Vesperini donne assez de preuves du succès incontestable de ce poème dont on continue à dire qu'il a été passé sous silence par les poètes de l'Empire. On le commente, on l'utilise, on le remploie, on le cite - à la façon romaine. Fort de son érudition, notre historien s'amuse même à montrer sur pièces comment les modernes s'emploient à manipuler les textes pour nier ce succès.

 

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LUCRÈCE, LE DESTIN DE SON POÈME : Moyen Âge, Renaissance, Lumières...

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   Après avoir regardé de près le texte et ses contextes, P. Vesperini suit les séquences historiques qui le rapprochent de nous pour voir comment fut traité Lucrèce dans un peu plus du premier millénaire. À chaque étape (celle des Pères de l’Église, celle des moines carolingiens (il dégage bien l’originalité de ce moment), celle du XIIème siècle), cernant les pratiques de lecture et d’écriture, il rectifie des propositions infondées, ne se contente pas de citations hors contexte (le texte célèbre de saint Jérôme est rendu à son Chronicon) et s’emploie à démontrer que le De rerum natura, sans être un texte tenu pour fondamental, n’a jamais disparu puisque, au pire, il servait par certains biais de repoussoir dans une culture éminemment dialectique (notion clé du livre, on l'a compris et on va le vérifier) qui avait besoin d’adversaires et qui se savait infaillible depuis la Révélation que n'avaient pas connue les païens. Il concède toutefois que l'enseignement des auteurs antiques sans être jamais interdit, «n'alla jamais non plus complètement de soi.» Enfin, il reconnaît que peu à peu, vers le douzième siècle, les références deviennent rares parce qu’alors s’opère une réorganisation du savoir, la scolastique imposant d’autres auteurs, en particulier Aristote, même sur la question des atomes....C'est plus loin qu'il rappellera tout de même que «l'épicurisme était aussi au Moyen Age le nom d'une hérésie.»

 

  Vient la deuxième séquence : en deux temps, P. Vesperini examine la place de Lucrèce parmi les humanistes. Moment capital dans le mythe qu’il examine depuis le début de son livre et qu’il souhaite éclairer en s’attaquant au mot et à la notion de Renaissance (elle-même mythe fondateur de notre “modernité” et pourtant amplement déconstruit depuis un siècle) et en précisant l’idée qu’il faut s’en faire en distinguant les médiévaux (qui songeaient à utiliser l’Antiquité pour la “dépasser”) des humanistes (qui, eux, veulent prendre pour modèles les auteurs anciens, leurs catégories, leur langue (en un latin imité), principalement les “classiques” (Ciceron, Virgile)). Il pointe alors le paradoxe d’une Renaissance tournée vers le passé et qui serait le creuset de la modernité.

Pour comprendre ce paradoxe il observe la figure de Poggio Bracciolini, humaniste de cour qui servit de base au livre THE SWERVE (QUATTROCENTO) dont on sait le grand succès récent. Dans le romanesque récit de S.Greenblatt, Poggio est le découvreur du manuscrit qui allait, selon l'historien américain, bouleverser le destin de Lucrèce et de l’âge moderne. Et il fallait que ce découvreur soit déjà lui-même un moderne.

   Dans une archéologie qui tient parfois du (bon) roman policier, le lecteur suivra pas à pas (la question des bains, la lettre sur la mort de Jérôme de Prague, la découverte du manuscrit de Lucrèce) la mise en pièces du roman proposé par S.Greenblatt, gratifié de conteur de “fiction savante” et d'inventeur d’un pseudo-crypto-païen se servant des hommes d’Église pour imposer ses vues secrètes. Certes, le Poggio que construit P.Vesperini se différencie des clercs carolingiens sur certains points mais reste tout de même un homme du Moyen Âge (les signes abondent) par son intérêt pour la redécouverte de la patristique et par des positions offensives qui ne tenaient guère de l’épicurisme pour lequel il avait seulement manifesté de la curiosité d’un humaniste de cour....

 Poggio n'était en rien un de ceux «qui eurent le courage de penser en dehors de l'ordre existant. Ces humanistes-là n'appartenaient pas à des cours.» Vesperini les nomme : «(...) Ils étaient artisans comme Paracelse ou Boehme, juristes comme Reuchlin, aristocrates comme Pic de la Mirandole ou Montaigne, religieux comme Luther ou Bruno

 

   Que devient le poème, quelle est son influence après la “découverte” de Poggio et son retour à Florence?  Nous entrons dans le volet le plus polémique : après Greenblatt est visée, outre Eugenio Garin, Alison Brown (c'est avec elle qu'il s'explique le plus longuement sur la méthode historienne et sur une certaine historiographie américaine). Le mythe se renforçant (Lucrèce serait à l'origine du "retour de l'épicurisme"), il faut  en examiner le fonctionnement.

  Quel est-il? Dans un ensemble immense et hétérogène, des chercheurs isolent Lucrèce (il serait le seul penseur ou écrivain subversif) et le lisent d’une façon peu “romaine” : où les Romains (acquis de la première grande partie) lisaient seulement une œuvre d’art et n’accordaient guère d‘importance au contenu philosophique, c’est désormais la dogmatique du texte qui compterait au détriment de la forme. Lucrèce devient le poète didactique qu’il n’a jamais été. Son poème serait reçu comme une sorte de manuel venant accompagner et renforcer le retour de l’épicurisme antique.
 Un renversement se serait mis en place : pourquoi pas, après tout?

 

 La déconstruction de ce moment du mythe se poursuit dans le même esprit et avec les mêmes moyens. Elle passe par :

 

1- la reconduction de la thèse énoncée à propos du Moyen Âge: «le monde chrétien orthodoxe, oppressif [il n’est pas possible en effet de proclamer en public qu’on était athée ou épicurien], inclut en lui aussi bien dans la formation des élites que dans la culture qu’il promeut, un monde païen, polythéiste, pluraliste, très généralement matérialiste, dont les valeurs se situent à l’opposé des siennes.»(je souligne) Mais il les inclut.

 

2- l'application de la méthode d’étude qui a fait ses preuves jusque là : elle implique une connaissance profonde de la langue et de la culture des Anciens (ce qui permet à Vesperini, avec sa pratique des actes de langage et sa science des textes antiques de signaler des erreurs de traduction et de faire émerger la dimension tactique ou ludique de certaines propositions que l’on a tendance à prendre très au sérieux (le cas de Marsile Ficin brûlant un commentaire de jeunesse consacré à Lucrèce est éloquent).

Enfin par

 3- la critique de toute une pratique historienne qui grossit un objet d'étude en le coupant de l’ensemble vaste et complexe auquel il appartient et dans lequel des nappes de discours interfèrent et co-existent : l’humanisme à Florence n’est pas homogène (celui de cour n’a rien à voir avec celui de l'université) et il suffit de savoir que les grammairiens qui formaient à la lecture des Anciens connaissaient et faisaient connaître dans l’apprentissage du latin les plus grands extraits d’Épicure et de ceux des auteurs qui les avaient discutés pour mesurer l'importance du contexte. L’oublier revient à méconnaître cette culture fondamentalement dialectique qui donne la parole à l’adversaire (tout le monde connaît l’atomisme (plutôt via Aristote) et depuis longtemps) et à ignorer (ou feindre d'ignorer) l’ensemble d’un corpus où certaines propositions de Platon, d’Aristote et des stoïciens pouvaient paraître au moins aussi subversives que celles de l’épicurisme.

 

Pour P.Vesperini, pas de doute : le «"retour de l'épicurisme"» à la Renaissance est bien une fiction historiographique.

 

 

  L'enquête historique examine ensuite la situation de Lucrèce entre Contre-réforme et Lumières : tout à la fois, il reprend ses analyses d’exemples significatifs (certains sont éclatants (l’abbé Cotin à la réception de la Reine de Suède par l’Académie française)) et ses propositions générales qui ont aussi une portée méthodologique.
 

 1-Au plan général, il met en avant le rôle capital de l’imprimerie qui  battra en brèche le monopole de l’Église (les textes “dangereux” menaçaient de tomber dans les mains et surtout dans l’esprit des "incultes" qui n’avaient pas la formation de la culture dialectique qui dominaient depuis des siècles) et celui encore plus déterminant des combats religieux qui représentent pour elle une crise mortelle : dans les faits, l’Église ne poursuit toujours pas (à quelques exceptions près) les grands textes antiques qui font partie de la culture lettrée mais s’attache à poursuivre les textes hérétiques. Celui qui prépara l’Index, Michele Ghislieri (pourtant le contraire d'un tendre) tient le poème de Lucrèce pour une fable. Le poète est au programme des jésuites comme à celui des protestants. Les traductions du De rerum natura ne sont pas l’œuvre de libertins.

Pourtant, il faut s’arrêter à cette catégorie hétérogène presque indéfinissable comme le montre une énumération (9) aussi drôle qu'instructive mais que réunit le rejet de l’ordre voulu par la Contre-Réforme. Les libertins peuvent avoir lu le poète romain mais moins que d’autres (Plutarque, Lucien, Pline l’Ancien et surtout Cicéron) et, parmi les auteurs antiques, ils sont largement plus attirés par les historiens (Tite-Live, Thucydide, Polybe, Salluste, Tacite, Diodore de Sicile) qui dominent de grands débats et, de toute façon, ils sont plus attentifs aux auteurs “modernes” (Machiavel, Pomponazzi, Cardan, Bodin, Montaigne, Charron etc.) et à leurs contemporains (Descartes, Gassendi, Spinoza). Même sur la question vivante alors (et passablement complexe) de l’atomisme, Lucrèce n’est pas une référence prioritaire. On admirera l'étude de l’affaire Marchetti qui prouve en même temps que Lucrèce cachait bien (pour une fois) une offensive atomiste des plus modernes et qu’elle choqua un aristotélicien de l’entourage de Cosme III qui obtint par de basses manœuvres son interdiction, la seule énoncée par l’Église.

2-Au plan méthodologique, il se livre à un examen judicieux de la délicate notion d'influence et il poursuit son analyse des textes dont il explique la stratégie : il insiste à juste titre sur la mobilité des penseurs et des écrivains, sur leurs changements (pas toujours opportunistes) d'options et, plus loin, au temps des Lumières, il l'appliquera subtilement dans un cas longuement étudié (l'architecte Antinori).

 

   Sur cette lancée et dans le même cadre d'analyse, l'historien en vient au Lucrèce des Lumières. Aucune surprise. Au XVIIIème siècle il est un compagnon (de combat, souvent), jamais un maître : ce sont les "modernes" (Descartes, Malebranche, Hobbes, Spinoza, Locke) qui sont les maîtres. Et quand Lucrèce devient un symbole il n’est pas plus lu pour autant. On l'apprécie mais moins que d'autres. On l’invoque mais on rit de sa physique et on se contente vaguement de son éthique.

Conclusion? «Lucrèce est donc essentiellement un nom, un nom à forte charge symbolique certes, mais un nom tout de même, dont il ne faut pas exagérer l'influence sur les philosophes modernes.» Une récapitulation frappante s'impose : «Cependant, quelle qu'ait été l'importance de ce nom aux yeux des philosophes, Lucrèce ne fut jamais menacé par les pouvoirs spirituels et temporels qu'il menaçait. Il fut toujours autorisé et joua par conséquent aussi un rôle de joker dans les échanges que les deux camps pouvaient avoir

 Le long parcours de P. Vesperini est terminé, peut-être pas son combat. Nous sommes alors au bord de la fabrique du mythe, à l'âge des romantiques et des universitaires des années 1850.

  Résumons  les acquis qui semblent les plus importants :

1-Lucrèce n'a jamais écrit un poème didactique au service de l'épicurisme et n'a jamais non plus été négligé voire "censuré", ni à Rome ni au Moyen Âge et s'il fut moins accessible à la fin du Moyen Âge, la découverte de Poggio Bracciolini (en 1417) n'a rien changé à cette situation : les penseurs du 17e et 18è aiment à le citer comme symbole ou comme arme sans le connaître vraiment. 

2-Pour renverser ce récit mythique (enfant du Romantisme et de l'université), il faut refondre toutes les catégories de l'Histoire et considérer le monde romain dans sa singularité et accepter de lire ses auteurs selon un mode de lecture et de pensée qui est étranger au nôtre. 

 

        On le voit à la dimension de notre compte-rendu, le travail de Vesperini est immense et l'examen fouillé de la fécondité d'une telle thèse et de ces méthodes revient aux historiens (et aux philosophes plutôt mis à l'écart (10)). Dans tous les cas on ne peut que lui savoir gré d'avoir proposé un livre de savant ayant la plus haute conscience politique : il connaît mieux que d'autres ce que signifie "l'appauvrissement intellectuel du public" et la menace qui pèse sur les humanités. Son combat pour la culture dialectique, pour le respect de l'originalité des mondes passés doit nous rendre plus lucides. La déconstruction des mythes instrumentalisant le passé ne peut que servir à décaper les mythes que nous impose notre présent.
 
 Pour finir, on nous permettra quelques questions d'amateur qui n'interdisent pas l'admiration. 

 

   Pourquoi brosser un portrait aussi noir de la personne d'Épicure alors que les auteurs romains (que l'auteur aiment souvent citer) le saluent de façon plutôt élogieuse et alors que finalement le sage et sa doctrine importent si peu à Lucrèce? 

   La pratique de lecture "romaine" était-elle compatible avec la fluidité  tellement vantée des vers de Lucrèce?

   Défendre une lecture seulement romaine d'une œuvre n'est-ce pas la réserver à de bons latinistes et à de grands érudits seuls capables de se délecter de la poésie lucrétienne, et ainsi, n'est-ce pas remplacer un mythe bien trop vivant par une œuvre presque morte?

  Supposer acquis et transparent le vouloir-dire et le vouloir-faire d'un texte n'est-ce pas freiner une déconstruction pourtant si bien engagée? La notion de contexte n'a-t-elle pas été elle aussi déconstruite avec pertinence dans les dernières décennies? Une œuvre se limite-t-elle au contexte qui l'a produite?

 

Rossini, le 15 novembre 2017

 

 

(1)En 2016 dans Philosophie magazine, une discussion eut lieu entre Marcel Conche et notre auteur. On doit absolument s'y reporter. Nous ne serions pas étonné qu'elle se prolonge longtemps avec quelques autres. Ajoutons que sur Épicure la lecture du livre remarquable de subtilité de Renée Koch Comment peut-on être dieu ? (la secte d'Épicure) chez Belin (2005) est d'un grand apport.

(2)Sa description est complète : «C'est assister aux jeux (ludi), spectacles, combats de gladiateurs ou courses de char, auquel sont consacrés à l'époque de Lucrèce pas moins de soixante-dix-sept jours par an. C'est aller aux thermes, où l’on se baigne, où l’on fait du sport, où l’on converse, où l’on écoute des conférences. C'est recevoir ou visiter ses amis, donner et rendre des banquets, où se renouvellent sans cesse les plaisirs des conversations et des plaisanteries, de l'amour, du vin, des parfums, de la musique et des vers, des concerts et des spectacles.»(page 29)

(3)Voir les très riches pages 31,32 sq.

(4)Sur ce point, l'auteur semble écarter le plaisir du savoir des Modernes et nier qu’une démonstration logique ou mathématique, par exemple, ait une valeur ludique et surtout esthétique. On peut penser le contraire. 

(5)Je souligne ici ce qui prouve que la discontinuité (souvent rappelée) entre les deux mondes connaît des exceptions notables.  

(6)L'auteur affirme que le sage, selon Épicure, ne doit pas engendrer. Et il renvoie en note à Diogène Laërce (10,119). Dans notre édition (Goulet-Cazé / Balaudé), nous lisons  : «En outre, le sage se mariera et fera des enfants, comme le dit Épicure dans les Difficultés et les livres Sur la nature

(7) Ici P. Vesperini nous livre son interprétation du célèbre passage de la potion d’absinthe et du miel qu’on comprend généralement comme le pouvoir de la forme poétique rendant moins amer le contenu philosophique et que Lucrèce utilise en plusieurs lieux de son poème : ce serait aux deux types de discours (epos, satura) que serait destinée cette image qui expliquerait enfin le tableau de la Peste qui embarrasse tellement les lecteurs modernes.

(8)On se reportera à la page 182 sq et à cette définition:«Cette qualité de fluidité constante du poème, c'est ce qu'il appelle la varietas, mot qui signifie à la fois la variété, la diversité, la pluralité infinie et la fluidité, l'animation, la variance si l'on veut, qui président au monde qu'il peint comme au poème qu'il compose

 

(9)Page 262.

 

(10)Le débat avec M. Conche reposait sur une opposition capitale : «Le philosophe peut faire usage des penseurs antiques sans accorder au monde de ces penseurs la même attention qu’à leurs textes. Mais l’historien de ces penseurs doit au contraire accorder la même attention à la fois à leurs textes et au monde dans lequel ils vivaient

 

 

 

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I
L'ouvrage de P. Vesperini n'est pas scientifique mais polémique, avant tout dirigé contre S. Greenblatt. Or l'ouvrage de celui-ci ne concerne pas spécialement Lucrèce. C'est un essai vulgarisateur sur les débuts de la Renaissance qui ne prétend pas à une stricte scientificité. Au total, P. Vesperini pourfend un mythe qu'il a construit lui-même. Si vous voulez, on peut discuter ici : http://projetbabel.org/forum/viewtopic.php?t=21702&sid=68ef6c7b0fe5f73258c251e3bb0ccd30
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