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21 septembre 2011 3 21 /09 /septembre /2011 16:15

 

        Aymé? A jamais suspecté. Vialatte? Outrageusement pillé. Audiberti? Oublié. Même (ou surtout) dans le lycée qui porte son nom et qui n’a jamais eu de place ou d’argent pour construire une salle de théâtre. Lycée au sinistre masque sis avenue du président-Wilson, avenue menant (de boutiques de sourds en boutiques de mal-entendants) à la  place Général-de-Gaulle.... Ce qui l’aurait sans doute fait bien rire.

        Relisons un livre modeste d’une grande œuvre mineure. Et, à notre tour, rions « à se tordre, à se retordre, détordre et retordre».

        Le sujet et l’heure sont pourtant graves dans le premier texte, LA FIN DU MONDE. Même si autour du héros, Julien-Jean-Joséphin Lesaleur, tout le monde rit. De qui, de quoi rit-on? Du héros narrateur, un homme d’un puissant et confortable conformisme qui l’a toujours réconforté. On rit à son bureau, dans la rue. Le taxi veut lui payer la course. Plus grave : le vent détruit beaucoup et dénude bien des corps. Un soldat gardien de la caserne de Courbevoie (soldat en molletières mérovingiennes évidemment) n’a pas de dos...Le narrateur survivant s’interroge : est-il fou?

        Pendant que tout s’effondre autour de lui sous l’effet de pistolets dissolvants, et bien avant THE TRUMAN SHOW, il acquiert la forte conviction qu’à l’instar du monde mallarméen fait pour aboutir à un beau livre, le monde depuis l’origine est une immense complot farcesque destiné à encadrer dans une habile «potemkinade» sa modeste mais auguste personne. Lui, «l’indigène ultime». Au milieu des décombres, il sait qu’il est seul mais depuis toujours. Tout a constamment été joué pour lui : même (c'est dire !) sa «longue querelle avec le capitaine Cornevault» dont il semble «encore recevoir au visage son souffle de vermouth et de carie».

    Quelle est la fin de cette fin du monde? Vous verrez quelle résistance est celle de notre héros et comment un fer à repasser le sauve du Salut facile d’une absorption passive dans une mare de lait et dans un chœur sirupeusement archangélique et diablement œcuménique.

 

      Comme il se doit, après cette fin du monde, il est encore possible de suivre les aventures édifiantes de ce cynique  de Tarquin qui connaît soudain l’amour (FLAVIENNE, oui, Flavienne Gordolon - le réalisme nominaliste d’Audiberti est imparable) ou encore, dans LE VIVIER, celles de Pierre, homme politique d’envergure, auteur d’un livre sur l’agriculture, d’un opuscule sur le statut commercial des forains et adhérent du parti spiritualiste rural (et non de son opposé et intransigeant rival, le parti réaliste actif si agressif sous les préaux municipaux), séducteur hanté par le vieillir et le «concret-métaphysique» et qui se retrouve dans une manifestation peu faite pour sa notoriété mais bien faite pour confirmer ses talents coupables pour la séduction et les questions métaphysiques posées dans un contexte rural ou suburbain («l’ourlet des villes»)....   

 

 

       Pour ceux qui, paradoxalement, découvriront Audiberti par cette fin du monde, c’est avant tout une langue qu’ils voudront apprendre et rêveront de parler pour saisir l’étendue d’un univers dont la surprise est le principe vital. Chez lui les alliances de mots crépitent («la claire loi sombre du monde»); la tautologie («il regarda sa montre. Il était dlix-neuf heures cinquante quatre. Les événements se produisent à une heure irrécusable, irremplaçable, - l'heure à laquelle ils se produisent.) ne s’embarrasse de rien mais rebondit pour vous piéger («Quand il s'en produit un et que, par suite, il n'aura plus à se produire, on est un peu soulagé, non? de ce qu'il reste moins à faire au devoir du monde»); le zeugme vous alpague au détour d’une phrase; l’énumération vous donne le sourire pour la journée; l’asyndète semble spécialement inventée pour cette fin de monde; la «comprenure» ou la tripaille côtoie la chanson des rues aussi bien que le vocabulaire le plus recherché et la description la plus bariolée; le flux de conscience charrie tellement de choses qu’il vous donne un vertige prolongé de bonheur. Les formules sont époustouflantes de légèreté incisive : « Il l'accompagne, certes, mais en silence comme l'homme la femme, dans l'encyclopédie, aux pages de l'anatomie»; «toujours l’amour empêche d’aimer»; «le bonheur le mangeait en dedans»; «son désaveu, non pas de la vie, mais de vivre»; «nul baiser n’atteint l’os» «comme une flèche de bonheur». Mais il suffit de lire. Lire Audiberti c’est être au commencement du monde.

 

    Cependant ce chatoiement de l’étoffe-langue ne doit pas plus tromper que cette impression de vitesse et d’énergie qui saisit tout lecteur de l’auteur d’ABRAXAS : la phrase caracolante vous emporte mais en vous éclairant par des jeux kaléidoscopiques qui tout à la fois masquent gaiement et révèlent pudiquement un souci profond.

    Voilà pourquoi c’est une chance que de commencer par ce recueil qui contient en son ouverture italique du VIVIER une description qui se révèle blason : Audiberti y condense son art, sa poétique et sa «pensée». Dans le gluant vivier, poissons et poissonnes virevoltent, s’approchent, disparaissent comme assassinés et engendrent une langue faite d’irlande ou de sardaigne, de couleurs qui viennent de naître pour vous comme pour « ce zig-zag tango». Une idée toutefois surnage: tout change mais, sous les chatoiements de l’instant, une mécanique des espèces se reproduit (ce qui donnera plus loin dans la nouvelle : «Il sait qu'il serait facile mais, en même temps, commode, par trop, de décider qu'il n'y a que ventre à la mode de Caen, jambes de bois en os, cage soufflante, courge à mâchoires, vulves sirupeuses, chromosomes sulfuriques»). En outre, non loin, dans ce vivier décidément cosmique, une sculpture vous retient.  Et c’est toute l’histoire de Flo, de Mia ou Annelik et de Pierre dans ce VIVIER. Toute la mécanique du monde, biologique, historique, thanatographique (lisez simplement le début d’URUJAC et le legs de la colonisation espagnole) qu’Audiberti admet mais qu’il a décidé une fois pour toujours d’ensorceler sans se prendre pour autre chose qu’un démiurge de l’instant créant «sous le regard sans regard de la poissonne immobile sculptée».

 

Vite, lisons, relisons Audiberti, rejouons-le ! Enfin!

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